Le Devoir

De la parole au geste

L’heure du grand racolage est arrivée

- JOSÉE BLANCHETTE

Nous voici repartis pour un grand tour dans le manège à menteries. Cela durera jusqu’à l’automne, nous serons courtisés des quatre points cardinaux, on nous construira des ponts d’or et on nous couvrira de promesses. Je réclame le droit de ne pas être importunée par ces frotteurs et aguicheuse­s de métro, ces ouvreurs et ouvreuses de vaudeville qui racolent. «Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour» (Pierre Reverdy). Ne me parlez pas de ces beaux merles au centre de caramel qui vous laissent avec un mal de coeur une fois le fond de la boîte entraperçu. Nous le savons pourtant. C’est du serial dating tous les quatre ans, à date fixe. Et nous désirons y croire, un peu malgré nous, par paresse, par fatalisme ou par ignorance. Les gens ne veulent pas la vérité, ils veulent de l’espoir, me soulignait récemment une vieille amie du haut de sa longue expérience.

Nous voulons des gestes et nous récoltons du vent. Depuis le poing levé de PKP aux côtés d’une Pauline Marois ne se contenant plus de joie, il y a quatre ans, il n’y a pas eu beaucoup de gestes forts. Je ne me rappelle que le doigt d’honneur de cette Américaine à vélo l’automne dernier (interviewé­e par Infoman le 31 décembre) à l’endroit de la suite motorisée de monsieur Trump qui s’en allait «poter» au golf.

Les chiens aboient, la caravane passe, mais le geste demeure. Et nous avons tendance à regarder le doigt qui pointe vers la lune plutôt que l’astre lui-même.

Après avoir chèrement conquis le droit de parole, après nous être plus ou moins alphabétis­és et cultivés, nous favorisons désormais l’image à tous points de vue. Mieux vaut un geste fort qu’un flot de paroles inutiles, une photo qui fait époque plutôt qu’un discours-fleuve dans lequel se noieront les bonnes intentions. Et le geste peut venir d’une mimique, d’un regard, d’une posture, d’un mouvement du corps, même de l’immobilité figée. Le plus difficile demeure de joindre le geste à la parole dans une adéquation parfaite. Cela porte aussi le nom de «cohérence».

Jouir jusqu’à la fin

«Les mots ont été inventés pour mentir. Les gestes, en nous échappant parfois, peuvent les contredire», écrit Charles Dantzig dans son Traité des gestes.

Tiens, j’ai été frappée par cette nouvelle étonnante la semaine dernière. Après la fausse alerte d’un missile plongeant vers Hawaï, le site vidéo Pornhub a enregistré une baisse soudaine de fréquentat­ion, puis, dès que l’erreur fut divulguée, à une hausse spectacula­ire d’onanistes du samedi. Graphique à l’appui, du horsnorme, même pour le week-end.

Après avoir eu peur de mourir, le premier geste sensé que l’être humain trouve à faire, c’est de se «défatiguer Popaul» ou de «s’effeuiller le coquelicot», comme disait l’ineffable San Antonio. La psyché demeure assez simpliste au fond: Thanatos, Éros, crosse.

Parlant de psyché simpliste déguisée en génie stable (ou l’inverse), depuis son accession au pouvoir, pas un geste, pas une moue de Trump qui ne fut suranalysé par l’oeil scrutateur des médias. Charles Dantzig, cet écrivain pointilleu­x, n’y résiste pas non plus dans son volet sur les gestes avec la bouche. «J’ai haï dès que je l’ai vue la moue d’enfant malveillan­t de Donald Trump. Elle concentre la cruauté de cet être qui fait partie de l’espèce des requins à peau fine. Ils passent leur vie à déchiquete­r autrui et poussent des cris d’indignatio­n dès qu’on les effleure.»

Le pussy graber en chef aura déclenché un mouvement en amont d’Hollywood, propulsant la parole des femmes contre les gestes d’agresseurs à la petite semaine.

Plus je vieillis et plus j’apprécie le beau geste, celui qui traduit le langage universel. J’ai l’ouïe plus usée, il faut croire. On me la fait moins, lasse que je suis d’entendre les mêmes aurores se lever sur des jours meilleurs. En ce moment, certains voudraient nous faire déchirer notre chemise pour sauver l’identitair­e sur le dos des immigrants. La gauche se divise une fois de plus. C’est comme le féminisme, on n’en finit plus de trouver des sous-catégories, et j’ai toujours l’impression d’être dans la mauvaise vague.

Cette semaine, l’ex du PQ Pierre Curzi faisait remarquer, au micro de Paul Arcand, que le projet politique québécois se situe au ras les pâquerette­s. L’éducation n’est pas un projet collectif; c’est un excellent plan politique, forcément souhaitabl­e, un levier. Mais l’écologie, par contre, oui. À défaut d’un pays, offrons-nous une planète. C’est un projet qui dépasse les frontières. Le seul qui tienne, à mon avis, si nous désirons faire preuve de cohérence et réaliser des gestes dont l’urgence dépasse le cocktail météo du jour.

Diviser pour régner

Voter est un geste qui ne suscite guère l’enthousias­me chez les jeunes de 18-34 ans, nous répète-t-on. De 42% à 66% de participat­ion, selon les régions, aux dernières élections provincial­es, d’après une étude de l’Université Laval. Il est plus facile d’ajouter un coeur sur Instagram. D’une certaine façon, les jeunes électeurs tirent la langue à ce qu’il reste de démocratie et nous envoient un GIF comme réponse, yeux au ciel, tête qui s’agite à répétition. Si l’avenir leur appartient (et la démographi­e nous montre que non), il faudra trouver d’autres façons de le leur façonner en les attirant «autrement».

Peut-être avec des discours politiques façon slam? Rajeunisso­ns le spectacle, Justin Trudeau l’a bien saisi. L’important, c’est d’avoir l’air «solide» sans gants de boxe. L’écrivain et slameur David Goudreault m’avait déjà mentionné que la droite gagne souvent parce que son seul projet politique tourne autour de l’argent. Alors que la gauche perd parce qu’elle embrasse toutes les autres causes qui finissent par la diviser.

D’ailleurs, il faudra tôt ou tard trouver le moyen de faire tenir un mariage entre un PKP «en réserve de la République» et un Jean-Martin Aussant en exil. Je propose Manon Massé comme célébrante. C’est du solide.

cherejoblo@ledevoir.com Twitter : @cherejoblo

Deux mois. C’est le temps qu’aura duré ma confiance en la nouvelle mairesse de Montréal Valérie Plante. En politique, c’est mon record. Biz (sur Twitter)

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Des travailleu­rs brandissai­ent le poing cette semaine à Montréal lors d’une manifestat­ion anti-Trump entourant l’ALENA. Le geste fort du «Nous vaincrons».
 ?? ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR ?? Il y a quatre ans, Pierre Karl Péladeau avait créé tout un émoi en joignant le geste à la parole.
ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Il y a quatre ans, Pierre Karl Péladeau avait créé tout un émoi en joignant le geste à la parole.
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