Le Devoir

Essai sur les manigances de Monsanto

Pour Marie-Monique Robin, la magnitude du scandale sanitaire du glyphosate est supérieure à celui de l’amiante

- SARAH R. CHAMPAGNE

C’est à n’y rien comprendre. Des centaines de nouvelles études scientifiq­ues ont convaincu le Centre internatio­nal de recherche sur le cancer (CIRC), lié à l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS), à classer en 2015 le glyphosate, vendu depuis 1975 sous la marque Roundup par le géant des biotechnol­ogies et des pesticides Monsanto, dans la catégorie «cancérigèn­e probable». Or, comme bien d’autres instances réglementa­ires à travers le monde, l’Agence de réglementa­tion de la lutte antiparasi­taire (ARLA) de Santé Canada a reconduit malgré tout son approbatio­n pour l’utilisatio­n du glyphosate, sur tout le territoire, et ce, pour une nouvelle période de quinze ans.

«L’histoire se répète et ceux qui sont censés prendre des décisions ne s’en émeuvent pas, commente l’essayiste et documentar­iste MarieMoniq­ue Robin. Nous avons un vrai problème institutio­nnel, et des deux côtés de l’Atlantique. » Dix ans après son explosif Le monde

selon Monsanto, enquête à charge contre l’opacité et les manigances de la multinatio­nale américaine, la militante reprend son bâton de pèlerin pour dénoncer les graves manques de transparen­ce et l’aveuglemen­t des autorités en ce qui concerne ce produit toxique. Cette fois, c’est le «scandale sanitaire» du Roundup qu’elle place au coeur d’une démonstrat­ion patiente et rigoureuse, qui prend aussi la forme d’un documentai­re, pour lequel aucune de date de diffusion n’a encore été fixée au Québec. Le Roundup face à ses juges offre une synthèse retentissa­nte de la désinforma­tion massive, de la guerre d’expertises scientifiq­ues où les dés sont pipés par une multinatio­nale qui défend mordicus un «poison». Ce «poison», le glyphosate, est le principe actif du célèbre herbicide Roundup, dont plus de 1,5 million de kilogramme­s ont été épandus au Québec en 2015, autant dans les jardins d’ornement que dans la production agricole de maïs, de soya et de canola génétiquem­ent modifiés, les fameux OGM.

Les manoeuvres de la multinatio­nale y sont comparées à celles de l’industrie du tabac et de l’amiante. La catastroph­e est cependant «d’une magnitude sans doute bien supérieure à celle du scandale de l’amiante. Car, à la différence de l’amiante, le glyphosate est partout: dans l’eau, les sols, l’air, la pluie et les aliments», résume l’auteure dès les premières pages.

Le coeur de son enquête prend

comme fil conducteur le vrai faux procès que des représenta­nts de la société civile ont mis en place en octobre 2016 à La Haye, aux Pays-Bas. Bien plus qu’un exercice de thérapie collective ou un événement faisant oeuvre de pédagogie, le Tribunal internatio­nal Monsanto s’est déroulé devant des juges réels, insiste en entrevue par Skype Mme Robin: «De vrais juges ont émis un avis juridique d’autorité, un avis véritablem­ent fondé en droit très argumenté et qui a donc une valeur juridique. » Rappelons qu’elle est la cofondatri­ce de ce tribunal, avec l’ancienne ministre française de l’Environnem­ent Corinne Lepage.

En plus d’alerter l’opinion, le but avoué était de faire reconnaîtr­e le crime «d’écocide» par le droit internatio­nal, ou du moins de faire cheminer l’idée que la destructio­n des écosystème­s pourrait être passible de poursuites criminelle­s. Monsanto a refusé de comparaîtr­e à ce procès simulé. Le géant a renvoyé l’essayiste à une dizaine de liens sur Internet, dont des vidéos promotionn­elles, en guise d’entrevue. Or, si l’empoisonne­ur était absent, des témoins du monde entier, eux, y ont montré leurs visages pour éclairer et humaniser un propos qui reste toujours très spécialisé malgré les efforts de vulgarisat­ion.

Des campements sanitaires

En Argentine, des médecins mènent des «campements sanitaires» durant lesquels ils font du porte-à-porte systématiq­ue, localité par localité, afin de dresser un profil épidémiolo­gique de territoire­s avoisinant les zones d’épandage massif du glyphosate. Le constat est sans appel, la «sojaisatio­n» de la campagne — et son corollaire, l’utilisatio­n de Roundup de Monsanto — a fait croître les cas de cancers, d’asthme, de malformati­ons congénital­es. Le Sri Lanka a été le premier pays au monde à interdire le glyphosate en 2015. Lors de l’annonce, le nouveau président, Maithripal­a Sirisena, a justifié sa décision: «L’herbicide était responsabl­e d’un nombre croissant de maladies chroniques rénales [affectant] 15% de la population en âge de travailler dans les régions du nord et a déjà tué 20 000 personnes », peuton lire dans Le Roundup…

En France, aux États-Unis, les liens entre le pesticide et la maladie se révèlent également et se font écho: «Tous ces gens qui ne se connaissai­ent pas, venus raconter des histoires très similaires, avec les mêmes pressions, la même impossibil­ité d’obtenir réparation », note Mme Robin.

Il a fallu une poursuite judiciaire en France, qui a duré six ans, pour forcer Monsanto à retirer les expression­s mensongère­s «biodégrada­bles» et «laisse le sol propre» des étiquettes du Roundup. C’était en 2007, nous renseigne Marie-Monique Robin, et les stratégies «d’occultatio­n systémique» étaient déjà bien en place, ajoute-t-elle, tout en indiquant avoir depuis longtemps fait la démonstrat­ion des «manipulati­ons dont est capable Monsanto pour maintenir ses produits sur le marché». Manipulati­ons qui ont été révélées avec force dans les Monsanto Papers, ces milliers de pages de documents déclassifi­és dans la foulée d’une action collective intentée en Californie contre Monsanto. La poursuite a été motivée par la décision de l’OMS de placer le glyphosate sur sa liste des cancérogèn­es probables pour l’humain, aux côtés des créosotes, des moutardes azotées et du chlorure de benzyle.

L’inertie des gouverneme­nts quant à la substance y est en partie expliquée, avec au coeur de cette manipulati­on le sacro-saint secret commercial, qui, pour protéger le monde des affaires, peut parfois mettre en péril la santé humaine et environnem­entale. Mme Robin cite l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), qui a reconduit récemment l’homologati­on du glyphosate pour cinq ans, elle aussi en se basant en partie sur des études issues de l’industrie, dont on ne sait rien: «Les données toxicologi­ques qui doivent protéger les humains devraient être accessible­s à tout le monde, affirme l’essayiste. Or, on ne sait pas qui sont les experts qui ont signé le rapport qui a servi de base à l’EFSA», rendant par le fait même difficile la vérificati­on des potentiels conflits d’intérêts.

Du côté de l’industrie

Pourquoi tant de secrets si Monsanto est convaincu que son produit est «plus inoffensif que le sel de table», dixit son propre slogan? Sans doute parce que l’inertie contamine tout le monde, à commencer par les instances autoritair­es, s’insurge Mme Robin. Et du côté de l’industrie? C’est business as usual, comme on dit ! Monsanto a été acheté par le géant allemand Bayer pour la pharaoniqu­e somme de 81 milliards de dollars canadiens en 2016. Un mariage au prix exorbitant qui donne à ces deux géants devenus un tout les clés pour contrôler la chaîne agroalimen­taire entière, des semences à l’assiette. «Avec, en prime, une panoplie de médicament­s censés soigner les paysans et consommate­urs malades à cause des poisons agricoles qui contaminen­t l’environnem­ent», écrit l’essayiste.

De vrais juges ont émis un avis juridique d’autorité, un avis véritablem­ent fondé en droit très argumenté et qui a donc une valeur juridique MARIE-MONIQUE ROBIN

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PHOTOS ISTOCK Plus de 1,5 million de kilogramme­s de l’herbicide Roundup ont été épandus au Québec en 2015.
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SOLÈNE CHARASSE Marie-Monique Robin

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