Le Devoir

Le Canada devrait se concentrer sur l’ALENA de l’après-Trump

- ÉRIC DESROSIERS Avec l’Agence France-Presse

Le Canada et le Mexique doivent prendre garde, dans leur défense de l’ALENA, de s’aliéner l’ensemble des Américains tout comme d’accepter n’importe quoi dans l’espoir de sauver coûte que coûte l’accord. Après tout, Donald Trump ne sera pas éternel.

Il ne faut pas se raconter d’histoire, a averti le sous-ministre mexicain au Commerce, Juan Carlos Baker Pineda, lors d’une table ronde organisée vendredi par le Centre d’études et de recherches internatio­nales de l’Université de Montréal (CERIUM). La renégociat­ion de l’Accord de libre-échange nordaméric­ain (ALENA), dont la sixième ronde doit se poursuivre à Montréal jusqu’à lundi, pourrait très bien échouer. «Si l’un des pays veut partir, il le fera. On ne peut rien faire contre cela», a-t-il dit, faisant référence aux États-Unis, dont certaines des demandes «sont simplement inacceptab­les», selon lui.

La seule chose à faire pour le Canada et le Mexique, dans un tel contexte, est de rappeler que beaucoup de progrès ont déjà été réalisés depuis le début des négociatio­ns, en août, et de continuer, pour le reste, d’essayer de se montrer « créatifs» dans la façon dont on pourrait accommoder malgré tout le camp américain. «Mais ce qu’il faut éviter à tout prix, c’est de bricoler coûte que coûte des solutions qui ne seraient pas dans notre intérêt commun à long terme. Nous devons penser à long terme. »

Et tant pis si cela doit se conclure, malgré tout, par un échec, a déclaré le haut fonctionna­ire mexicain. «Il y aura un jour un autre président à la tête des États-Unis, qui défendra une autre politique commercial­e.» C’est pourquoi il faut savoir garder le contrôle de ses émotions et éviter de «s’aliéner la population américaine dans son ensemble ».

Problème de visions

Le professeur de droit internatio­nal économique de l’Université Laval à Québec Richard Ouellet estime lui aussi que certaines demandes des États-Unis à la table de renégociat­ion de l’ALENA sont tellement contraires non seulement aux intérêts de ses deux autres pays partenaire­s, mais aussi à la nature même de leur projet commun qu’elles semblent avoir été seulement conçues pour ser vir d’excuses pour conclure à leur échec.

Le problème, entre les ÉtatsUnis et ses deux autres partenaire­s, va bien au-delà d’intérêts nationaux divergents, estime le professeur et directeur de la Chaire d’études politiques et économique­s américaine­s de l’Université de Montréal, Pierre Martin. «Le gouverneme­nt Trump ne partage pas le même esprit, la même conception générale de l’ALENA.» Pour le nouveau président américain, l’accord met en présence trois économies nationales distinctes qui essaient de s’assurer les plus grosses parts de gâteau possible. Pour les deux autres et en réalité, le bloc commercial est un ensemble économique de plus en plus étroitemen­t intégré et où les gains, comme les pertes, sont communs.

Le professeur à l’École nationale d’administra­tion publique Stéphane Paquin entrevoit quatre scénarios possibles. Un «ALENApocal­ypse» que Donald Trump pourrait déclencher dès mardi en annonçant la sortie de son pays de l’accord lors de son discours sur l’état de l’Union, ou alors un report de la fin des négociatio­ns en 2019, après les élections prévues au Mexique, aux ÉtatsUnis, mais aussi en Ontario et au Québec. Ou encore, la transforma­tion des discussion­s en cours en négociatio­ns bilatérale­s entre les ÉtatsUnis et ses deux voisins séparément, mais qui n’auraient probableme­nt pas plus de succès. Mais plus vraisembla­blement, la signature prochaine d’une entente partielle couvrant les nombreuses questions déjà réglées et la remise aux calendes grecques des enjeux les plus litigieux. «Le pessimiste dira que les choses pourraient difficilem­ent aller plus mal. L’optimiste lui répondra que, au contraire, elles le pourraient. »

Des avancées à Montréal

Des représenta­nts des milieux d’affaires canadiens et mexicains ont affiché un optimisme prudent vendredi au quatrième jour des négociatio­ns à Montréal. Certains ont avancé que les partis étaient maintenant tout près d’une entente dans au moins six des trente chapitres en discussion, dont ceux portant sur le commerce électroniq­ue, les règles anticorrup­tion, les télécommun­ications ainsi que les mesures sanitaires et phytosanit­aires. Le week-end devrait être consacré à des enjeux plus litigieux comme l’automobile, le droit des entreprise­s de poursuivre les États et l’établissem­ent d’une durée de vie limite de l’éventuel accord. La ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, et ses deux homologues doivent arriver dans la métropole montréalai­se dimanche pour faire le point sur les progrès accomplis et tenir une conférence de presse le lendemain. C’est à ce moment que le représenta­nt américain au Commerce, Robert Lighthizer, pourrait annoncer l’intérêt ou non de son pays de poursuivre l’exercice. Officielle­ment, on s’est accordé encore deux autres rondes de négociatio­ns d’ici la fin du mois de mars pour arriver à une entente.

«Ce qu’il faut éviter à tout prix, c’est de bricoler coûte que coûte des solutions qui ne seraient pas dans notre intérêt commun à long terme»

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MANUEL BALCE CENETA ASSOCIATED PRESS La ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, et ses deux homologues, Robert Lighthizer et Ildefonso Guajardo Villarreal, doivent arriver dans la métropole montréalai­se dimanche pour faire le point sur les progrès accomplis.

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