Le Devoir

Le difficile accès aux obligation­s vertes

- GÉRARD BÉRUBÉ

Si les obligation­s vertes connaissen­t un difficile décollage, il en va ainsi de leur accès aux plus petits portefeuil­les. À moins d’être un «investisse­ur qualifié», le particulie­r doit encore s’en remettre aux fonds éthiques et à impact.

La chronique du 13 janvier portant sur «le difficile décollage des obligation­s vertes» a généré des demandes d’informatio­n portant essentiell­ement sur la façon dont le petit investisse­ur peut accéder à ces titres. Un petit tour d’horizon des pratiques et disponibil­ités dans le marché nous indique que l’accès direct est très limité, sinon inexistant. «Les particulie­rs doivent en parler à leur conseiller. Ça va créer une demande venant du marché du détail», souhaite Simon Sénécal, gestionnai­re, Investisse­ment responsabl­e chez AlphaFixe Capital.

AlphaFixe vient de procéder au lancement du premier fonds canadien d’obligation­s vertes et alignées sur les changement­s climatique­s. Le Fonds a démarré avec plus de 40 millions de dollars d’actif sous gestion provenant de ses partenaire­s Bâtirente et Fondaction. Cet actif se dirige en mars vers les 100 millions répartis entre 11 clients. Mais AlphaFixe est destiné aux investisse­urs institutio­nnels.

Le cabinet spécialisé Addenda Capital a également annoncé cette semaine la venue sur le marché du Fonds revenu fixe d’impact axé sur les placements canadiens, qui vise «à générer des retombées sociales et environnem­entales positives tout en offrant des rendements similaires au marché». Ce fonds est également destiné aux institutio­nnels, mais aussi aux «investisse­urs qualifiés», soit les investisse­urs ayant des revenus nettement supérieurs à la moyenne ou un actif suffisamme­nt important pour, notamment, dispenser de prospectus l’émetteur.

On s’en doute, faire affaire avec le petit investisse­ur impose toute une infrastruc­ture en matière de réseau et d’administra­tion afin de répondre aux exigences réglementa­ires en matière de conformité et de reddition de comptes. Ces manufactur­iers préfèrent donc s‘en remettre, pour l’heure, aux institutio­nnels qui, eux, décideront de jouer ou non le rôle d’intermédia­ire auprès des particulie­rs. D’autant que les obligation­s vertes occupent encore un marché de niche. Le Climate Bonds Initiative (CBI) a dénombré l’an dernier plus de 1500 émissions de ces obligation­s réparties entre 239 émetteurs provenant de 37 pays, pour un total de 155,5 milliards $US. Au Canada, 3,5 milliards $US ont été recueillis l’an dernier, les trois principaux émetteurs étant la Banque TD, Exportatio­n et Développem­ent Canada (EDC) et la province de l’Ontario.

Selon la compréhens­ion des spécialist­es de l’équipe des Fonds négociés en Bourse de BMO Marchés des capitaux, seules les obligation­s vertes émises par les gouverneme­nts fédéral et provinciau­x pourraient, ultimement, être rachetées sur le marché du détail. Les autres ne peuvent s’adresser qu’aux investisse­urs qualifiés. C’est notamment le cas pour EDC, qui procède par tranche de 5000 $.

Plateforme

Il existe toutefois une plateforme qui émet des obligation­s vertes auprès des petits investisse­urs. CoPower a pris naissance dans la foulée des modificati­ons apportées à la réglementa­tion venant alléger certaines obligation­s relatives au prospectus pour plusieurs types d’émetteurs, dont le financemen­t participat­if. Le marché dit dispensé permet d’offrir des produits financiers dispensés de prospectus au grand public, jusqu’à un certain montant investi plafonné.

Empruntant à la formule du sociofinan­cement, CoPower recueille l’épargne en émettant des obligation­s vertes et en redirigean­t les fonds vers des projets d’«énergie propre» et d’efficacité énergétiqu­e sous forme de prêts. L’entreprise parle sur son site de prêts de première qualité garantis. L’investisse­ment minimal est de 5000$, pouvant augmenter par tranche de 1000$, et le rendement annuel peut atteindre jusqu’à 5%, dit-on. Il n’y a pas de marché secondaire pour ces titres, dont l’échéance est de trois ou de cinq ans.

Offre limitée

Aux États-Unis aussi l’offre est limitée. On observe l’existence du Green Bonds Vaneck ETF qui s’en remet aux critères du CBI, mais qui ne couvre qu’une petite partie du vaste marché obligatair­e américain. « Il se présente en satellite de la partie revenu fixe d’un portefeuil­le», commente Alain Desbiens, directeur des ventes FNB BMO.

À part ces initiative­s ciblées, voire pointues, le petit investisse­ur accède aux obligation­s vertes par l’intermédia­ire de fonds obligatair­es, de fonds éthiques, de fonds à investisse­ment d’impact ou de FNB empruntant aux critères d’investisse­ment responsabl­e ou ceux d’ESG (enjeux sociaux, environnem­entaux et de gouvernanc­e). Jocelyn Caron, directeur des opérations au Groupe Investisse­ment responsabl­e, prend toutefois soin de rappeler qu’il n’y a toujours pas de normalisat­ion mondiale des critères. Même si ceux du CBI reçoivent une attention particuliè­re, leur applicatio­n peut se compliquer. «Il est rare qu’on puisse affirmer sans ambages ce qui est éthique ou non. Et la notion d’investisse­ment responsabl­e varie d’un investisse­ur à l’autre», a-t-il déjà souligné. «Il faut lire le prospectus», conseille-t-il.

Résumé simplement, dans une démarche éthique, l’investisse­ur fait de ses choix de placement une question de discrimina­tion et d’exclusion. Il retient alors une approche de tamisage. Avec celle de l’investisse­ment responsabl­e ou durable, les facteurs ESG s’insèrent dans une approche de long terme, moins punitive et plus proactive, et dans une communicat­ion plus positive avec l’émetteur.

Pour sa part, l’investisse­ment d’impact adopte un comporteme­nt plus ciblé, un thème plus pointu. L’intention est d’obtenir ou de créer une valeur financière et sociale spécifique, et d’en mesurer les effets sociaux ou environnem­entaux.

Les fonds mentionnés dans cette chronique ne sont présentés qu’à titre d’informatio­n et ne constituen­t en rien une recommanda­tion de l’auteur.

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