Le Devoir

Sciences L’art-thérapie a gagné ses lettres de noblesse dans la métropole

- PAULINE GRAVEL

L’art-thérapie a désormais gagné ses lettres de noblesse dans la métropole. Le Musée des beaux-arts de Montréal lui consacre un nouvel espace et emploie un art-thérapeute à temps plein, une initiative unique au monde. De plus, l’Hôpital général de Montréal inaugurait jeudi un studio de musicothér­apie, le premier du genre au Canada.

Stephen Legari, art-thérapeute au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), accueille régulièrem­ent de jeunes adultes autistes à l’Atelier internatio­nal d’éducation et d’art-thérapie Michel de la Chenelière du musée. «Comme les autistes ont beaucoup de difficulté à décoder les émotions exprimées par les autres, ainsi qu’à reconnaîtr­e et à extérioris­er leurs propres émotions, nous les aidons à relever ce défi à l’aide des collection­s du musée et de la création », précise-t-il. Les séances débutent par le choix d’un thème, le plus souvent deux émotions contraires, comme la peur et la sécurité. On part ensuite dans les galeries du musée à la recherche de cinq oeuvres qui représente­nt ces deux émotions. Chaque participan­t doit alors exprimer ce qu’il voit dans ces oeuvres. «Lors d’une séance sur la peur et la sécurité où l’on s’est arrêtés devant des oeuvres inuites illustrant un conte terrifiant dans lequel les doigts coupés deviennent des mammifères, on a amené les participan­ts à parler de leurs propres peurs et à les analyser afin de voir si elles sont réalistes ou non rationnell­es», souligne M. Legari. «Le fait de savoir que d’autres personnes éprouvent aussi des peurs contribue souvent à diminuer leurs propres peurs », ajoute-t-il.

La séance se poursuit par une activité de création où les participan­ts sont invités à représente­r l’émotion analysée à l’aide d’une forme d’art adaptée à l’émotion. «Chaque forme d’art offre une possibilit­é différente pour exprimer l’émotion : le collage est plus cognitif, car c’est comme un casse-tête qu’on forme sur la table; fluide, la peinture est plus émotionnel­le; l’argile est pour sa par t très physique et permet de traduire la colère, par exemple, en la déformant et en la frappant, mais d’une façon sécurisant­e», explique l’art-thérapeute.

L’équipe d’Autisme sans limites, qui amène un groupe de jeunes autistes au musée pendant 30 semaines consécutiv­es, affirme qu’au terme de l’expérience, ses protégés sont moins anxieux et plus à l’aise avec les autres participan­ts et l’équipe du musée. Stephen Legari a aussi remarqué une évolution dans leur travail créatif et leur flexibilit­é. «Après quelques mois, certains participan­ts ont accepté d’essayer la peinture alors qu’ils refusaient de l’utiliser au départ», dit-il.

Recherche scientifiq­ue

L’art-thérapie est de plus en plus utilisé pour soigner et aider les personnes ayant des problèmes aussi divers que l’autisme, les troubles de l’alimentati­on, la schizophré­nie, l’anxiété, la dépression, le cancer du sein et la maladie d’Alzheimer. Et les chercheurs sont de plus en plus nombreux à éprouver scientifiq­uement ses bienfaits. Nathalie Bondil, directrice générale et conservatr­ice en chef du MBAM, a créé le comité Art et Santé du musée. Présidé par Rémi Quirion, scientifiq­ue en chef du Québec, et composé de 17 experts issus des milieux de la recherche, de la santé, de l’art-thérapie et des arts, ce comité a pour mandat d’évaluer les projets de recherche qui sont proposés.

Le spécialist­e des troubles de l’alimentati­on Howard Steiger, de l’Institut universita­ire en santé mentale Douglas, a mené un projet de recherche visant à évaluer l’impact d’une visite au musée incluant la prise d’un repas en groupe et un atelier créatif chez des personnes atteintes d’un trouble de l’alimentati­on, tel que l’anorexie ou la boulimie. L’activité débute par une visite des galeries portant sur le thème des formes féminines, par exemple, qui suscitera inévitable­ment des réflexions et des discussion­s. «Nos collection­s permettent de voir combien la forme du corps féminin a évolué au cours de l’histoire et comment elle varie en fonction des cultures », souligne M. Legari, qui aborde aussi régulièrem­ent le thème de l’imaginaire en visitant les galeries d’art moderne et contempora­in, afin de fournir «des moments d’évasion aux participan­tes dont l’esprit est souvent monopolisé par des pensées intrusives ».

Au mitan de la séance, les participan­tes partagent un repas avec le guide du musée et l’artthérape­ute. «Le repas suscite souvent de l’anxiété chez les participan­tes, parce qu’il se passe dans un nouvel environnem­ent et avec de nouvelles personnes. Mais comme elles mangent aux tables sur lesquelles elles font leur création, dans un studio et non à la cafétéria, il s’agit d’un milieu qui se situe entre la sécurité de l’encadremen­t du programme de jour qu’elles suivent à l’Institut Douglas et la vraie vie. C’est déstabilis­ant pour elles, mais en même temps c’est une transition vers la vie normale, où elles mangeront tôt ou tard au restaurant», explique Nadine Ferenczy, psychoéduc­atrice dans le programme Continuum des troubles alimentair­es.

Les mesures qui ont été prises au cours de l’expérience ont fait l’objet d’un article scientifiq­ue qui a été publié dans le journal The Arts of

Psychother­apy en 2017. Selon les résultats publiés, l’expérience au musée a permis de réduire le niveau d’anxiété chez les participan­tes, mais il n’a pas eu d’effets notables sur les symptômes de leur trouble alimentair­e.

«Il est certain qu’une séance de quelques heures passées au musée ne pouvait pas guérir les jeunes femmes d’un trouble de l’alimentati­on sévère, qui est un problème très complexe. Mais les commentair­es des participan­tes montrent qu’elles ont beaucoup aimé l’expérience, qui leur permettait d’être en contact avec leurs émotions d’une façon autre qu’intellectu­elle. Les bénéfices ont été suffisamme­nt significat­ifs

pour que nous continuion­s à intégrer l’art-thérapie dans notre programme de traitement», explique M. Steiger, auteur principal de l’étude.

Le MBAM offre aussi des séances d’art-thérapie aux femmes qui suivent un traitement pour un cancer du sein ou qui sont en rémission. «L’accueil est très important dans nos séances d’art-thérapie; il vise à trouver les événements et les préoccupat­ions que ces femmes, qui vivent beaucoup de stress et d’inquiétude, ont en commun afin de créer une cohésion au sein du groupe qui facilitera la discussion», souligne Stephen Legari.

La puissance de l’art

La majorité des participan­tes apprécient de pouvoir oublier toutes leurs préoccupat­ions pendant les quelques heures de la séance. Elles soulignent aussi les bienfaits de rencontrer d’autres personnes qui vivent avec un cancer du sein comme elles et « de redécouvri­r leur créativité pour exprimer des choses qui sont parfois très difficiles à nommer». Ce programme fera bientôt l’objet d’une étude scientifiq­ue menée par la psychologu­e Jacinthe Lambert, qui est professeur­e coresponsa­ble des programmes d’art-thérapie en milieu muséal à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamin­gue (UQAT).

«Les oeuvres d’art suscitent en nous une émotion esthétique, elles communique­nt sensibleme­nt avec nos traits biologique­s de grands primates. L’art s’adresse à nous en tant qu’êtres humains, dans notre chair, dans notre sang, par nos tripes. Dans un lieu où il y a des oeuvres d’art, nous sommes devant un mode de communicat­ion, d’échange et d’émotion qui est très différent de celui que l’on pourrait avoir devant un écran, face à un professeur ou devant une scène, où on se trouve également en situation passive. Face à des oeuvres d’art, nous sommes dans une dynamique qui nous engage et qui nous permet de mieux interagir d’un point de vue social, donc avec les autres, et en même temps de renforcer notre estime de nous. L’art nous fait du bien en société et en tant qu’individus», affirme Nathalie Bondil.

Les commentair­es des participan­tes montrent qu’elles ont beaucoup aimé l’expérience, qui leur permettait d’être en contact avec leurs émotions d’une façon autre qu’intellectu­elle

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 ?? ANNA LUPIEN ?? Le programme d’art-thérapie au Musée des beaux-arts de Montréal, en collaborat­ion avec l’Institut Douglas de l’Institut universita­ire de santé mentale Douglas, emploie un art-thérapeute à temps plein, une initiative unique au monde.
ANNA LUPIEN Le programme d’art-thérapie au Musée des beaux-arts de Montréal, en collaborat­ion avec l’Institut Douglas de l’Institut universita­ire de santé mentale Douglas, emploie un art-thérapeute à temps plein, une initiative unique au monde.
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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Dany Bouchard (absent sur la photo), musicothér­apeute de la Mission en santé mentale, anime une chorale, le Groupe MusiArt, qui existe depuis 20 ans. Il souligne que les patients vont utiliser la chorale comme tremplin, comme une transition avant de...

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