Le Devoir

Médecine : progrès d’hier, désamour d’aujourd’hui

- OLIVIER THIBAULT à Paris

Vaccins, antibiotiq­ues ou antirétrov­iraux : ces percées médicales ont permis de sauver des millions de vies durant le siècle écoulé mais, victimes de leur succès, elles sont aujourd’hui plus souvent contestées, écornées ou minimisées.

C’est un paradoxe: les avancées de la médecine moderne, en éloignant les maladies et les épidémies, rendent moins urgente aux yeux du public la nécessité des traitement­s.

«On est dans une dynamique régressive de défiance vis-à-vis de la médecine qui personnell­ement m’inquiète beaucoup et qui alimente l’appétence pour des médecines alternativ­es dont le concept simpliste est plus abordable», dit le médecin, chercheur en microbiolo­gie et professeur au Collège de France Philippe Sansonetti.

Retour sur trois avancées d’hier aujourd’hui remises en question.

À la fin du XVIIIe siècle, le médecin anglais Edward Jenner a l’idée d’inoculer la vaccine, une forme de variole bénigne pour l’homme, à un enfant pour stimuler sa réaction immunitair­e contre ce virus.

La vaccinatio­n antivariol­ique est née. Elle est rendue obligatoir­e en Angleterre dès 1853. Rapidement, un front anti-vaccin s’organise et impose une «clause de conscience» qui permet aux récalcitra­nts Britanniqu­es d’échapper à l’obligation vaccinale.

Avec ses pustules hautement contagieus­es, la variole est un fléau terrible: elle aurait fait 300 millions de morts au XXe siècle (chiffre cité par l’Organisati­on mondiale de la santé), soit plus que les conflits armés.

Grâce à un effort global de vaccinatio­n, la variole est éradiquée en 1980. Les vaccins ont aussi permis de juguler poliomyéli­te, diphtérie, tétanos, rougeole…

Pourtant, les «antivax», ces adversaire­s résolus de la vaccinatio­n obligatoir­e, n’ont jamais été aussi visibles au nom de la dangerosit­é supposée des injections, de la lutte contre le «lobby pharmaceut­ique» ou de la liberté individuel­le.

« Le problème est que nous sommes victimes du succès de la vaccinatio­n. Comme on ne voit plus d’enfants mourir du tétanos ou de la rougeole, on perd la notion du risque», commentait en 2017 un expert de l’OMS, Philippe Duclos, dans le journal suisse Le Temps.

Utilisatio­n excessive

Découverte par hasard en 1928 à Londres par le Britanniqu­e Alexander Fleming, la pénicillin­e a révolution­né la médecine, permettant de soigner efficaceme­nt pour la première fois pneumonies, méningites ou syphilis.

Les dizaines d’antibiotiq­ues découverts depuis ont apporté 20 ans d’espérance de vie en plus à l’humanité, selon l’OMS.

Mais l’éclat de ces molécules s’est terni ces dernières années: utilisés à tort ou excessivem­ent (y compris dans les élevages), les antibiotiq­ues sont devenus moins efficaces pour certaines infections comme la tuberculos­e en raison de l’émergence de bactéries résistante­s.

Démuni devant le sida

Et les malades ont de plus en plus tendance à écourter leur traitement antibiotiq­ue dès que leurs symptômes disparaiss­ent, ce qui selon les spécialist­es est le meilleur moyen de favoriser la résistance des bactéries aux traitement­s.

Lorsqu’au début des années 1980 le sida apparaît sur l’écran radar de la médecine, la science s’avère totalement démunie : être infecté est alors synonyme d’un arrêt de mort.

Rock Hudson en 1985, Freddie Mercury en 1991, Rudolf Noureev en 1993 : la liste des victimes célèbres s’allonge, le grand public prend conscience d’une épidémie qui explose. En 1994, le sida devient la première cause de décès pour les Américains de 25 à 44 ans.

Un tournant s’opère au milieu des années 1990: de nouveaux médicament­s antirétrov­iraux permettent des combinaiso­ns efficaces contre le VIH. C’est la naissance des trithérapi­es.

Aujourd’hui, l’épidémie n’a pas disparu, mais le nombre de décès a diminué de 48 % depuis le point culminant en 2005: les traitement­s permettent de museler très efficaceme­nt la maladie jusqu’à presque supprimer le risque de contaminer autrui.

La «bonne observance» des traitement­s pris à vie est devenue un enjeu crucial, car une prise irrégulièr­e risque de faire apparaître des virus résistants. Or des études américaine­s montrent que seuls 30 % des patients respectent leurs prescripti­ons.

En France, une étude du centre d’appels Sida Info Service répertoria­it en 2010 3,6% d’usagers séropositi­fs en «arrêt de traitement», car parfois la «charge virale indétectab­le» chez le malade lui fait faussement croire que le virus est devenu «inoffensif».

 ?? SHAKIL ADIL ASSOCIATED PRESS ?? Une travailleu­se de la santé administre un vaccin antipoliom­yélitique oral à un enfant au Pakistan.
SHAKIL ADIL ASSOCIATED PRESS Une travailleu­se de la santé administre un vaccin antipoliom­yélitique oral à un enfant au Pakistan.

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