Médecine : progrès d’hier, désamour d’aujourd’hui
Vaccins, antibiotiques ou antirétroviraux : ces percées médicales ont permis de sauver des millions de vies durant le siècle écoulé mais, victimes de leur succès, elles sont aujourd’hui plus souvent contestées, écornées ou minimisées.
C’est un paradoxe: les avancées de la médecine moderne, en éloignant les maladies et les épidémies, rendent moins urgente aux yeux du public la nécessité des traitements.
«On est dans une dynamique régressive de défiance vis-à-vis de la médecine qui personnellement m’inquiète beaucoup et qui alimente l’appétence pour des médecines alternatives dont le concept simpliste est plus abordable», dit le médecin, chercheur en microbiologie et professeur au Collège de France Philippe Sansonetti.
Retour sur trois avancées d’hier aujourd’hui remises en question.
À la fin du XVIIIe siècle, le médecin anglais Edward Jenner a l’idée d’inoculer la vaccine, une forme de variole bénigne pour l’homme, à un enfant pour stimuler sa réaction immunitaire contre ce virus.
La vaccination antivariolique est née. Elle est rendue obligatoire en Angleterre dès 1853. Rapidement, un front anti-vaccin s’organise et impose une «clause de conscience» qui permet aux récalcitrants Britanniques d’échapper à l’obligation vaccinale.
Avec ses pustules hautement contagieuses, la variole est un fléau terrible: elle aurait fait 300 millions de morts au XXe siècle (chiffre cité par l’Organisation mondiale de la santé), soit plus que les conflits armés.
Grâce à un effort global de vaccination, la variole est éradiquée en 1980. Les vaccins ont aussi permis de juguler poliomyélite, diphtérie, tétanos, rougeole…
Pourtant, les «antivax», ces adversaires résolus de la vaccination obligatoire, n’ont jamais été aussi visibles au nom de la dangerosité supposée des injections, de la lutte contre le «lobby pharmaceutique» ou de la liberté individuelle.
« Le problème est que nous sommes victimes du succès de la vaccination. Comme on ne voit plus d’enfants mourir du tétanos ou de la rougeole, on perd la notion du risque», commentait en 2017 un expert de l’OMS, Philippe Duclos, dans le journal suisse Le Temps.
Utilisation excessive
Découverte par hasard en 1928 à Londres par le Britannique Alexander Fleming, la pénicilline a révolutionné la médecine, permettant de soigner efficacement pour la première fois pneumonies, méningites ou syphilis.
Les dizaines d’antibiotiques découverts depuis ont apporté 20 ans d’espérance de vie en plus à l’humanité, selon l’OMS.
Mais l’éclat de ces molécules s’est terni ces dernières années: utilisés à tort ou excessivement (y compris dans les élevages), les antibiotiques sont devenus moins efficaces pour certaines infections comme la tuberculose en raison de l’émergence de bactéries résistantes.
Démuni devant le sida
Et les malades ont de plus en plus tendance à écourter leur traitement antibiotique dès que leurs symptômes disparaissent, ce qui selon les spécialistes est le meilleur moyen de favoriser la résistance des bactéries aux traitements.
Lorsqu’au début des années 1980 le sida apparaît sur l’écran radar de la médecine, la science s’avère totalement démunie : être infecté est alors synonyme d’un arrêt de mort.
Rock Hudson en 1985, Freddie Mercury en 1991, Rudolf Noureev en 1993 : la liste des victimes célèbres s’allonge, le grand public prend conscience d’une épidémie qui explose. En 1994, le sida devient la première cause de décès pour les Américains de 25 à 44 ans.
Un tournant s’opère au milieu des années 1990: de nouveaux médicaments antirétroviraux permettent des combinaisons efficaces contre le VIH. C’est la naissance des trithérapies.
Aujourd’hui, l’épidémie n’a pas disparu, mais le nombre de décès a diminué de 48 % depuis le point culminant en 2005: les traitements permettent de museler très efficacement la maladie jusqu’à presque supprimer le risque de contaminer autrui.
La «bonne observance» des traitements pris à vie est devenue un enjeu crucial, car une prise irrégulière risque de faire apparaître des virus résistants. Or des études américaines montrent que seuls 30 % des patients respectent leurs prescriptions.
En France, une étude du centre d’appels Sida Info Service répertoriait en 2010 3,6% d’usagers séropositifs en «arrêt de traitement», car parfois la «charge virale indétectable» chez le malade lui fait faussement croire que le virus est devenu «inoffensif».