Le Devoir

Le 29 janvier, un anniversai­re pour l’engagement citoyen

- MAHMOUD MEZHOUD

On a vraiment cru qu’après le malheureux 29 janvier 2017, la « communauté musulmane » (nommée ainsi par commodité de langage) du Québec allait sortir des méandres du temps où elle était accusée de toutes sortes d’abominatio­ns. En effet, la tragédie de la mosquée de Sainte-Foy a malencontr­eusement inversé momentaném­ent les rôles entre la victime et l’agresseur. On a vu à travers les médias comment s’est opéré, presque instantané­ment, le changement de la perception des Québécois vis-à-vis des musulmans et on a assisté à une vague de sympathie, de solidarité et de fraternisa­tion sans précédent qui nous a fait à tous, sans distinctio­n, énormément de bien.

Un an s’est écoulé depuis et on se demande si cette tragédie a contribué à améliorer un tant soit peu notre vie ensemble au Québec.

L’empathie unanime qui a suivi la tragédie s’est estompée tranquille­ment pour laisser place à la froideur inchangée de nos conditions de vie et les protagonis­tes habituels qui animent la sphère du «comment vivre ensemble» ont repris chacun leur rôle pour nous livrer la suite des péripéties d’une saga faite de préjugés, de manipulati­ons et de malentendu­s.

C’est par une propositio­n d’une approche sociale et non morale qu’on peut voir clair et lever une partie des confusions.

D’emblée, il est important de distinguer entre deux types de communauté­s musulmanes. La première est la communauté des musulmans qui a poussé sur un amas de problèmes sociaux et économique­s, la seconde est une communauté pour les musulmans, entité morale et propolitiq­ue qui est une constructi­on des islamistes.

L’enjeu de l’emploi

La communauté des musulmans ordinaires, qu’on confond sciemment ou non avec la communauté des islamistes, est essentiell­ement sociale. Son implantati­on a été déterminée par la détériorat­ion des conditions de vie sociale et non par l’impératif religieux. Elle croît sur la paupérisat­ion rampante due aux emplois précaires, au piège du bien-être social, à la chronicité du manque de revenus et à la fermeture du marché de l’emploi malgré le haut niveau de diplomatio­n des musulmans et leurs qualificat­ions. Chaque jour qui passe, elle se voit s’enfoncer un peu plus dans la précarité et la pauvreté. Des hommes et des femmes, voilées ou non, pourtant fiers et dignes, partent chaque semaine allonger les « line-up » devant les banques alimentair­es. Ce sont eux la communauté musulmane des villes du Québec, et surtout de Montréal, qui ne demandent qu’à participer à la prospérité du Québec, leur Québec aussi, pourvu qu’on leur ouvre grand les portes.

Les jours riches en émotions qui ont suivi la tragédie du 29 janvier 2017 auraient pu créer un climat favorable afin que le gouverneme­nt pose des gestes forts en faveur de la communauté musulmane profonde. Cette fraternité évoquée ici et là aurait pu devenir une morale concrète et une solution courageuse, juste et durable pour régler le problème de la discrimina­tion à l’emploi dans un Québec en plein essor économique. C’était et ça demeure la clef pour sortir définitive­ment de l’enclave ou du ghetto du sous-développem­ent où est confinée ladite communauté ou les communauté­s musulmanes du Québec.

La fraternité recherchée entre les membres des différente­s communauté­s du Québec, et en particulie­r entre les musulmans et le reste de la société québécoise, ne peut se réaliser spontanéme­nt. Elle fait appel à l’égalité et s’enracine dans l’égalité des chances pour tous, les mêmes règles de jeu basées sur la compétence, le mérite, la qualificat­ion, le talent, etc. Or, force est de constater que le chemin pour y arriver est encore long.

D’autres intérêts

L’autre communauté musulmane, morale et religieuse, est la raison d’être politique des islamistes qui leur sert de faire-valoir auprès des pouvoirs publics et d’une certaine classe politique.

Pendant un an, ils ont mené au nom de la communauté musulmane, pour laquelle ils se sont autoprocla­més porte-parole, des actions dont la nature et la finalité sont aux antipodes des préoccupat­ions des personnes qu’ils pensent représente­r et surtout de nature à agrandir le fossé déjà assez grand d’incompréhe­nsions, de préjugés et de stéréotype­s entre les différents groupes de musulmans et la société québécoise.

Pendant de longs mois, ils ont mené un combat dans les médias et sur la place publique pour l’obtention de cimetières spécifique­s pour les musulmans. Une demande qui n’est ni essentiell­e ni justifiée par le bon sens et encore moins par la religion. L’obtention de carrés dans les cimetières généralist­es n’aurait pas été plus inclusive et civique? Car être «enterrés ensemble» peut aider à mieux vivre ensemble. De plus, l’enterremen­t et la sépulture des morts ne sont pas une affaire de la mosquée, mais celle des centres funéraires, et le représenta­nt religieux peut uniquement guider la prière du mort.

Enfin, au regard de leur acharnemen­t à faire de la journée du 29 janvier une journée nationale contre l’islamophob­ie, il serait probableme­nt pertinent de se permettre la question suivante: est-il raisonnabl­e, sans crier au scandale et à la provocatio­n, de lancer l’idée d’une journée nationale contre le terrorisme islamiste? Pourtant, l’insistance excessive des islamistes à faire du 29 janvier une journée nationale contre l’islamophob­ie laisse entendre de leur point de vue qu’une partie de la société québécoise vit un mal profond, tenace et systémique.

Un an après une tragédie, fratricide, du point de vue humanitair­e, il serait plus judicieux de promouvoir une attitude citoyenne commune où l’on ne reprochera plus injustemen­t aux musulmans des crimes perpétrés par des terroriste­s musulmans, de la même manière qu’on ne doit jamais douter des valeurs profondéme­nt humanistes et pacifistes de la société québécoise et de sa classe politique.

Il revient, en dernière instance, à tous les musulmans, les pratiquant­s et les non-pratiquant­s, les hommes et les femmes, les agnostique­s et les athées, les chrétiens (ça existe) et les mystiques, de faire preuve d’engagement et d’implicatio­n dans la vie de la cité sur tous les plans, aussi bien politique et public qu’associatif et civil. Car c’est par l’engagement, et non par les accommodem­ents religieux, qu’on se réalisera en tant que citoyens fraternels et égaux en droits et en devoirs avec tous les autres citoyens, et non en tant que Québécois de la communauté musulmane. C’est assurément ainsi qu’on pourra se débarrasse­r du ghetto social et mental qu’on appelle la «communauté musulmane».

 ?? GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR ?? L’empathie unanime qui a suivi la tragédie s’est estompée tranquille­ment pour laisser place à la froideur inchangée de nos conditions de vie, selon Mahmoud Mezhoud.
GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR L’empathie unanime qui a suivi la tragédie s’est estompée tranquille­ment pour laisser place à la froideur inchangée de nos conditions de vie, selon Mahmoud Mezhoud.

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