Le Devoir

Cassard raconte Debussy, ce révolution­naire spongieux

Le pianiste donne ses premiers récitals au Québec en passant Debussy au crible

- CHRISTOPHE HUSS

V edette du piano et des médias en France, vulgarisat­eur hors pair, Philippe Cassard, 55 ans, donne son premier récital au Québec, mercredi à Montréal et dimanche à Québec. Son sujet : Claude Debussy, ses influences et ses recherches.

«Je ne révolution­ne rien. Je ne démolis rien. Je vais tranquille­ment mon chemin sans faire la moindre propagande pour mes idées […]. Il n’y a pas d’école Debussy, je n’ai pas de disciples, je suis moi.» Cette phrase du compositeu­r, Philippe Cassard a choisi de la mettre en exergue de son livre sur Debussy qui paraîtra dans quelques semaines chez Actes Sud. Et c’est le chemin parcouru par Debussy qu’il a accepté de débroussai­ller pour les lecteurs du Devoir.

Debussy a «fait la révolution, mais une révolution sans un tir de canon », aux yeux de Philippe Cassard. L’oeuvre qui marque le grand tournant, l’opéra Pelléas et Mélisande, créé en 1902, nous plonge dans le XXe siècle. « Pelléas est à la fois une catharsis et un catalyseur de vingt ans de recherches et de questionne­ments» pour Philippe Cassard, qui ne cache pas sa fascinatio­n pour « cette période 1876-1900 où Debussy se construit, se cherche et où il est une éponge comme peu de compositeu­rs l’ont été ».

Philippe Cassard nous rappelle que Debussy fut un autodidact­e: «Il n’est jamais allé à l’école. C’est sa mère qui lui a appris à écrire, et cela se voit jusqu’à la fin de sa vie, à travers une orthograph­e hasardeuse et rigolote.»

Debussy se nourrit ainsi de toutes les rencontres de ses années de jeunesse, ses années étudiantes, au Conservato­ire, à la Villa Médicis, mais aussi « auprès de ses protecteur­s, comme M. Vasnier, dont il troussait allègremen­t la femme, les Lerolle, et toutes ces personnes l’ont construit et nourri par des incitation­s à la lecture, des visites d’exposition­s, de contact avec la poésie ».

Et Philippe Cassard d’énumérer les rencontres qui s’enchaînent: «Pierre Louÿs, qui lui fait lire Edgar Allan Poe traduit par Baudelaire et l’introduit aux mardis de Mallarmé; Mallarmé qui lui a fait rencontrer Redon ; Mme Von Meck qui l’emmène trois fois dans ses voyages en tant que précepteur de ses gamins, mais où elle lui fait déchiffrer du Tchaïkovsk­i matin, midi et soir et l’emmène écouter du Rimski-Korsakov et du Borodine. »

Les influences sont largement interdisci­plinaires: «Debussy accède au monde de Chopin et des pianistes chopiniens grâce à Antoinette Mauté, sa professeur­e de piano, belle-mère de Verlaine. Celle-ci lui fait connaître Verlaine bien avant que Fauré n’ait le choc verlainien!» Verlaine initie Debussy à la peinture de Watteau, ce à quoi s’ajoute Wagner lors des deux voyages à Bayreuth et, comme le rappelle le pianiste, « la connaissan­ce, grâce à Ernest Guiraud et à Auguste Bazille au Conservato­ire, de la musique de la Renaissanc­e: Lassus,

Palestrina puis de Monteverdi». Cette absorption tous azimuts, qui captive Cassard par son «empirisme» débridé, est, comme le dit le pianiste, «dégorgée» dans Pelléas.

Un parcours prémédité

Le récital de Philippe Cassard sera marqué par cet esprit de découverte. «J’ai voulu montrer de manière pointillis­te des petites choses importante­s et oubliées. On oublie ainsi que si Chopin est celui, parmi les romantique­s, qui a le plus marqué Debussy, Liszt a été déterminan­t parce que Debussy a rencontré, entendu et joué pour Liszt à la Villa Médicis. »

«Liszt m’a appris à respirer par la pédale », disait Debussy en 1915, près de 30 ans après leur rencontre. «Dans mon livre, je m’interroge là-dessus. Pendant longtemps, je me suis dit que Liszt mettait peu de pédale. Après avoir appris Au bord d’une source, je me suis dit qu’il devait en mettre énormément, mais de manière si extraordin­aire, liée à son toucher et à son écoute, qu’on avait l’impression qu’il n’en usait pas.»

La présence de Grieg s’explique par l’attrait de Debussy pour ce que Philippe Cassard appelle «les mélodies un peu naïves». Il relève que le

Notturno de Grieg renferme des sonorités très debussyste­s. La Suite Bergamasqu­e est « traversée par le plus grand nombre de fantômes». Cassard y croise «Bizet, Massenet, des marches harmonique­s wagnérienn­es, Chabrier, Grieg, Chopin (Clair de

lune) et Verlaine (Passepied)». Après Rameau, le «parfait équilibre de la musique française aux yeux de Debussy», la Berceuse de Chopin apparaît au pianiste comme une clé de voûte. « On imagine Debussy la jouer en s’hypnotisan­t lui-même par les résonances du piano. La Berceuse, c’est la fascinatio­n pour la vibration, le halo des sonorités qui n’existaient pas avant Chopin. C’est l’oeuvre la plus fascinante par rapport à ce que Debussy a pu ensuite en tirer: le cantabile, la vibration, la pédale, la sensualité de l’approche sur le clavier, le côté glissé qu’il va reprendre et amplifier. »

Pour la seconde partie, consacrée aux portes que Debussy ouvre, Philippe Cassard a commandé un Prélude au compositeu­r et jazzman Baptiste Trotignon, choisi pour «son sens du rythme et son contact très sensuel avec le piano », avant de se mesurer au

Prélude à l’après-midi d’un faune, complexifi­ant une transcript­ion existante de Leonard Borwick: «J’ai ajouté pas mal de choses. La pièce est plus difficile, mais plus voluptueus­e»… La partie centrale de Pétrouchka,

Chez Pétrouchka, fait le saut vers Stravinski. «Même s’il l’a regardé avec méfiance, Debussy a tellement admiré Stravinski qu’il a mis dans certains

Préludes et dans Blanc et noir des éléments, voire des citations, du Sacre. Dans Les tierces alternées, que je jouerai, il y a une citation textuelle d’un motif binaire du Sacre du printemps. »

À ce moment-là du parcours de Debussy, on ne saurait parler d’impression­nisme: «On est dans Braque et Picasso, l’angle aigu, le vertical, avec une écriture d’accords qui solliciten­t le rebond. Ce ne sont pas les accords massifs de La cathédrale engloutie, mais des accords coupants qui propulsent le discours vers l’avant. Ça, c’est nouveau chez Debussy et cela vient de Pétrouchka et du Sacre. »

Démonstrat­ion sonore, mercredi à la salle Bourgie à Montréal et dimanche au Grand Théâtre de Québec.

Debussy, inspiratio­ns et influences

Concert de Philippe Cassard. À Montréal, à la salle Bourgie, mercredi 31 janvier à 19h30. Au Grand Théâtre de Québec, dimanche 4 février à 15 h.

 ??  ?? JEAN-BAPTISTE MILLOT Philippe Cassard nous rappelle que Debussy fut un autodidact­e, qu’il s’est nourri de toutes les rencontres de ses années de jeunesse et que ses influences sont largement interdisci­plinaires.
JEAN-BAPTISTE MILLOT Philippe Cassard nous rappelle que Debussy fut un autodidact­e, qu’il s’est nourri de toutes les rencontres de ses années de jeunesse et que ses influences sont largement interdisci­plinaires.
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