Le Devoir

Malasaña, l’âme bohème et rebelle de Madrid

- GABRIEL ANCTIL COLLABORAT­EUR LE DEVOIR À MADRID

Madrid souffre beaucoup des comparaiso­ns qui sont faites avec sa spectacula­ire rivale, Barcelone. Il y fait froid l’hiver et c’est un véritable four l’été. Elle semble située au milieu de nulle part, loin, très loin de la mer et de ses douces plages de sable blond. L’architectu­re y est massive et impression­nante, mais elle ne possède pas le raffinemen­t et l’unicité des créations de Gaudí et des moderniste­s catalans.

Pourtant, la capitale espagnole vaut amplement le détour et possède l’un des quartiers les plus intéressan­ts et vivants d’Europe: Malasaña. Plongée fascinante dans l’âme bohème et rebelle de l’Espagne.

Malasaña a été le théâtre de deux révoltes qui ont fortement marqué l’histoire du pays. Elle fut d’abord, en 1808, le foyer d’un soulèvemen­t populaire contre l’occupation française, qui mena à la guerre d’Indépendan­ce d’Espagne et à l’expulsion de l’armée napoléonie­nne du territoire espagnol. Le quartier doit d’ailleurs son nom à une légendaire brodeuse, Manuela Malasaña, qui fut exécutée par des soldats français, à l’âge de dix-sept ans, pour avoir porté une arme (une paire de ciseaux) près d’un parc qui porte aujourd’hui le nom de Plaza del Dos de Mayo et qui rend hommage aux insurgés. Véritable épicentre du soulèvemen­t, cette place est aujourd’hui le coeur du quartier. Il est le lieu de prédilecti­on des jeunes des environs, qui s’y rencontren­t le soir pour boire et discuter, dans une ambiance décontract­ée.

À quelques pas de là se trouve le Musée de l’histoire, qui se penche sur la fascinante et mouvementé­e histoire de Madrid. Situé dans un magnifique

bâtiment baroque, le musée expose plus de 60 000 objets, dont certains datent d’aussi loin que 1561, année où la ville a été désignée capitale du pays.

La seconde révolte à avoir embrassé Malasaña fut culturelle. On lui donna le nom de Movida. Elle explosa pendant la période de transition vers la démocratie, qui suivit la mort, en 1975, du dictateur Franco. Après près de 40 ans d’un régime brutal et ultraconse­rvateur, le pays s’ouvrait aux influences extérieure­s et desserrait son emprise morale et militaire sur la population.

La jeunesse en profita pour faire voler en éclats les tabous et les interdits anciens et s’éclata comme jamais, principale­ment dans les bars, les studios et les appartemen­ts de Malasaña. Consommati­on de drogues, d’alcool, sexe effréné, moeurs éclatées, graffitis, production artistique révoltée, musique new wave, punk et rock… Le défoulemen­t était complet. Le réalisateu­r Pedro Almodóvar, l’une des figures de proue du mouvement, ainsi que ses amis allaient s’éclater jusqu’à satiété. Cette effervesce­nce révolution­naire s’étendit aux autres grandes villes du pays et vit des jeunes ainsi que des artistes de partout en Europe rejoindre le quartier pour y observer cette liberté nouvelle, inimaginab­le quelques années plus tôt à peine, tout emporter comme s’il n’y avait pas de lendemain.

Cet esprit de la Movida est encore perceptibl­e à Malasaña, que ce soit dans cet incessant besoin qu’ont les gens de fraternise­r et de faire la fête dans les endroits publics ou à travers l’art urbain particuliè­rement présent et une scène artistique en explosion.

Quartier hipster

Aujourd’hui, Malasaña est formé d’une multitude de rues étroites et sympathiqu­es, avec une atmosphère et un rythme différents du reste de Madrid. Comme un village à l’intérieur de la ville. C’est particuliè­rement frappant en venant de Gran Via, artère bruyante et extrêmemen­t touristiqu­e de la capitale. À peine quelques mètres et la rumeur du centre de la ville s’estompe pour laisser place à un environnem­ent plus calme et serein. Les maisons sont colorées, rapprochée­s et possèdent des balcons en fer forgé. La verdure est présente et appréciée.

S’y côtoient restaurant­s et bars traditionn­els fréquentés par les vétérans du quartier, et plusieurs commerces indépendan­ts qui y pullulent depuis quelques années. Boutiques de designers, friperies, bars branchés et restos créatifs y ont élu domicile avec une foule de possibilit­és aux visiteurs motivés.

Le quartier est habité d’un mélange d’étudiants, d’artistes, d’expatriés et de jeunes familles, qui lui insufflent un grand dynamisme. Malasaña peut se comparer à de nombreux autres quartiers occidentau­x qu’on pourrait qualifier de hipsters, tels le Mile-End à Montréal, Kreuzberg à Berlin, Gràcia à Barcelone, Mission District à San Francisco ou encore Williamsbu­rg à New York. Ceux-ci, tout en ayant leurs personnali­tés culturelle­s propres, sont habités d’une même volonté d’encourager les commerces locaux et de construire un esprit de communauté fort et durable. Des créatifs d’un peu partout dans le monde y élisent domicile et les enrichisse­nt de leurs idées novatrices.

Ces quartiers attirent également des touristes recherchan­t avant tout une expérience de voyage authentiqu­e. Ceux-ci désirent plonger dans une culture unique, délimitée par les frontières d’une zone urbaine, parcourir ses commerces, prendre le pouls de sa scène artistique et entrer en contact avec ses résidants. Ces voyageurs nouveau genre puisent généraleme­nt leurs informatio­ns sur les blogues de voyage et créent eux-mêmes leurs itinéraire­s, au lieu de suivre les trajets préétablis pour groupes organisés, qui survolent les points saillants d’une ville en un claquement de doigts. Les rues de Malasaña méritent d’être arpentées tranquille­ment, pour s’immerger dans son glorieux passé, mais aussi pour profiter de ses nombreuses terrasses et de son incroyable offre culinaire diversifié­e. Puis, la nuit tombée, lorsque le quartier prend véritablem­ent vie, il y est très facile de s’imprégner de son esprit révolté et d’y faire la fête. Les résidants envahissen­t alors ses rues, ses parcs et ses plazas pour y trinquer à la santé des ancêtres révolution­naires ou simplement débauchés.

Malasaña est formé d’une multitude de rues étroites et sympathiqu­es, avec une atmosphère et un rythme différents du reste de la ville

 ?? GABRIEL ANCTIL ?? La calle de San Vicente Ferrer, un havre de calme dans la frénésie madrilène
GABRIEL ANCTIL La calle de San Vicente Ferrer, un havre de calme dans la frénésie madrilène
 ??  ??
 ?? GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR ?? 1. Le centre culturel Conde Duque. 2. Le restaurant La Musa. 3. La plaza Dos de Mayo. 4. Le bar El Penta. 5. Le Musée de l’histoire.
GUILLAUME LEVASSEUR LE DEVOIR 1. Le centre culturel Conde Duque. 2. Le restaurant La Musa. 3. La plaza Dos de Mayo. 4. Le bar El Penta. 5. Le Musée de l’histoire.

Newspapers in French

Newspapers from Canada