Malasaña, l’âme bohème et rebelle de Madrid
Madrid souffre beaucoup des comparaisons qui sont faites avec sa spectaculaire rivale, Barcelone. Il y fait froid l’hiver et c’est un véritable four l’été. Elle semble située au milieu de nulle part, loin, très loin de la mer et de ses douces plages de sable blond. L’architecture y est massive et impressionnante, mais elle ne possède pas le raffinement et l’unicité des créations de Gaudí et des modernistes catalans.
Pourtant, la capitale espagnole vaut amplement le détour et possède l’un des quartiers les plus intéressants et vivants d’Europe: Malasaña. Plongée fascinante dans l’âme bohème et rebelle de l’Espagne.
Malasaña a été le théâtre de deux révoltes qui ont fortement marqué l’histoire du pays. Elle fut d’abord, en 1808, le foyer d’un soulèvement populaire contre l’occupation française, qui mena à la guerre d’Indépendance d’Espagne et à l’expulsion de l’armée napoléonienne du territoire espagnol. Le quartier doit d’ailleurs son nom à une légendaire brodeuse, Manuela Malasaña, qui fut exécutée par des soldats français, à l’âge de dix-sept ans, pour avoir porté une arme (une paire de ciseaux) près d’un parc qui porte aujourd’hui le nom de Plaza del Dos de Mayo et qui rend hommage aux insurgés. Véritable épicentre du soulèvement, cette place est aujourd’hui le coeur du quartier. Il est le lieu de prédilection des jeunes des environs, qui s’y rencontrent le soir pour boire et discuter, dans une ambiance décontractée.
À quelques pas de là se trouve le Musée de l’histoire, qui se penche sur la fascinante et mouvementée histoire de Madrid. Situé dans un magnifique
bâtiment baroque, le musée expose plus de 60 000 objets, dont certains datent d’aussi loin que 1561, année où la ville a été désignée capitale du pays.
La seconde révolte à avoir embrassé Malasaña fut culturelle. On lui donna le nom de Movida. Elle explosa pendant la période de transition vers la démocratie, qui suivit la mort, en 1975, du dictateur Franco. Après près de 40 ans d’un régime brutal et ultraconservateur, le pays s’ouvrait aux influences extérieures et desserrait son emprise morale et militaire sur la population.
La jeunesse en profita pour faire voler en éclats les tabous et les interdits anciens et s’éclata comme jamais, principalement dans les bars, les studios et les appartements de Malasaña. Consommation de drogues, d’alcool, sexe effréné, moeurs éclatées, graffitis, production artistique révoltée, musique new wave, punk et rock… Le défoulement était complet. Le réalisateur Pedro Almodóvar, l’une des figures de proue du mouvement, ainsi que ses amis allaient s’éclater jusqu’à satiété. Cette effervescence révolutionnaire s’étendit aux autres grandes villes du pays et vit des jeunes ainsi que des artistes de partout en Europe rejoindre le quartier pour y observer cette liberté nouvelle, inimaginable quelques années plus tôt à peine, tout emporter comme s’il n’y avait pas de lendemain.
Cet esprit de la Movida est encore perceptible à Malasaña, que ce soit dans cet incessant besoin qu’ont les gens de fraterniser et de faire la fête dans les endroits publics ou à travers l’art urbain particulièrement présent et une scène artistique en explosion.
Quartier hipster
Aujourd’hui, Malasaña est formé d’une multitude de rues étroites et sympathiques, avec une atmosphère et un rythme différents du reste de Madrid. Comme un village à l’intérieur de la ville. C’est particulièrement frappant en venant de Gran Via, artère bruyante et extrêmement touristique de la capitale. À peine quelques mètres et la rumeur du centre de la ville s’estompe pour laisser place à un environnement plus calme et serein. Les maisons sont colorées, rapprochées et possèdent des balcons en fer forgé. La verdure est présente et appréciée.
S’y côtoient restaurants et bars traditionnels fréquentés par les vétérans du quartier, et plusieurs commerces indépendants qui y pullulent depuis quelques années. Boutiques de designers, friperies, bars branchés et restos créatifs y ont élu domicile avec une foule de possibilités aux visiteurs motivés.
Le quartier est habité d’un mélange d’étudiants, d’artistes, d’expatriés et de jeunes familles, qui lui insufflent un grand dynamisme. Malasaña peut se comparer à de nombreux autres quartiers occidentaux qu’on pourrait qualifier de hipsters, tels le Mile-End à Montréal, Kreuzberg à Berlin, Gràcia à Barcelone, Mission District à San Francisco ou encore Williamsburg à New York. Ceux-ci, tout en ayant leurs personnalités culturelles propres, sont habités d’une même volonté d’encourager les commerces locaux et de construire un esprit de communauté fort et durable. Des créatifs d’un peu partout dans le monde y élisent domicile et les enrichissent de leurs idées novatrices.
Ces quartiers attirent également des touristes recherchant avant tout une expérience de voyage authentique. Ceux-ci désirent plonger dans une culture unique, délimitée par les frontières d’une zone urbaine, parcourir ses commerces, prendre le pouls de sa scène artistique et entrer en contact avec ses résidants. Ces voyageurs nouveau genre puisent généralement leurs informations sur les blogues de voyage et créent eux-mêmes leurs itinéraires, au lieu de suivre les trajets préétablis pour groupes organisés, qui survolent les points saillants d’une ville en un claquement de doigts. Les rues de Malasaña méritent d’être arpentées tranquillement, pour s’immerger dans son glorieux passé, mais aussi pour profiter de ses nombreuses terrasses et de son incroyable offre culinaire diversifiée. Puis, la nuit tombée, lorsque le quartier prend véritablement vie, il y est très facile de s’imprégner de son esprit révolté et d’y faire la fête. Les résidants envahissent alors ses rues, ses parcs et ses plazas pour y trinquer à la santé des ancêtres révolutionnaires ou simplement débauchés.
Malasaña est formé d’une multitude de rues étroites et sympathiques, avec une atmosphère et un rythme différents du reste de la ville