Le Devoir

Oui à l’internatio­nalisation, non à la marchandis­ation, clame la FNEEQ

L’internatio­nalisation peut entraîner des effets pervers, soutient son président, Jean Murdock

- PIERRE VALLÉE

Le nombre d’étudiants étrangers — qui inclut les étudiants canadiens d’autres provinces — ne cesse d’augmenter dans les établissem­ents d’enseigneme­nt supérieur québécois. «C’est une tendance qui date du début des années 2000 et qui est en croissance depuis, explique Jean Murdock, président de la Fédération nationale des enseignant­es et des enseignant­s du Québec (FNEEQ). Cela est particuliè­rement évident dans le réseau universita­ire, mais le phénomène a aussi fait son apparition dans le réseau collégial.»

Selon le ministère de l’Éducation et de l’Enseigneme­nt supérieur, le pourcentag­e des étudiants étrangers dans le réseau universita­ire québécois était de 17,1% en 2012-2013. Ce pourcentag­e varie grandement selon l’établissem­ent d’enseigneme­nt. Ainsi, il se situait à 49,1% à l’Université McGill, mais seulement à 7,3 % à l’Université de Sherbrooke.

Quant au réseau collégial, selon le Conseil supérieur de l’éducation, le pourcentag­e d’étudiants étrangers était de 2,4 % (données de 2009).

L’attrait des étudiants étrangers

L’internatio­nalisation de l’enseigneme­nt supérieur est en soi un phénomène positif, ce qu’admet d’emblée Jean Murdock. Le fait de côtoyer des étudiants étrangers est un avantage pour les étudiants québécois, tout comme l’est la possibilit­é pour les étudiants québécois de séjourner dans un établissem­ent d’enseigneme­nt étranger. Mais l’internatio­nalisation peut aussi entraîner des effets pervers.

«La principale raison pour laquelle les université­s québécoise­s courtisent les étudiants étrangers, c’est qu’ils représente­nt une nouvelle source de revenus, précise Jean Murdock. C’est évident si l’on considère que le phénomène a commencé et s’est accentué avec le désengagem­ent de l’État québécois dans le financemen­t de l’enseigneme­nt supérieur.» En effet, les étudiants étrangers sont assujettis à des droits de scolarité passableme­nt plus élevés que ceux des étudiants québécois. «Il ne faudrait pas que cette source supplément­aire de financemen­t serve de prétexte pour justifier un moindre effort du gouverneme­nt dans le financemen­t de l’enseigneme­nt supérieur », poursuit-il.

De plus, cela induit un effet de concurrenc­e entre les établissem­ents d’enseigneme­nt. «Aujourd’hui, tous les établissem­ents universita­ires ont mis en place des bureaux de recrutemen­t d’étudiants étrangers, souligne-t-il. Ils se concurrenc­ent donc tous pour attirer chez eux le plus d’étudiants étrangers possible. Est-ce nécessaire?»

Formations transfront­alières

L’internatio­nalisation de l’enseigneme­nt supérieur a permis la création de formations transfront­alières. Il s’agit de formations conçues et élaborées au Québec, mais destinées à des clientèles étrangères et souvent même dispensées à l’étranger par des professeur­s québécois. Si Jean Murdock ne remet pas en question le bien-fondé de cette approche, il s’interroge toutefois sur la manière de procéder.

« Tout le processus est entièremen­t opaque, avance-t-il. On ne sait pas du tout comment ça se passe et il n’y a pas d’informatio­n disponible à ce sujet. Lorsqu’on en demande, à titre de syndicat, la direction refuse, invoquant son droit de gérance. Nous militons pour que le processus des formations transfront­alières devienne plus transparen­t, afin de pouvoir se faire une tête sur le sujet.»

Le cas des cégeps

La présence d’étudiants étrangers dans le réseau collégial est bien moins développée que dans le réseau universita­ire. Il s’agit ici aussi d’une nouvelle source de financemen­t puisque les étudiants étrangers ne profitent pas de la gratuité scolaire offerte aux étudiants québécois. Par contre, le financemen­t n’est pas la principale raison qui amène les cégeps à attirer en leur sein des étudiants étrangers.

«C’est moins l’attrait d’une nouvelle source de financemen­t qui motive le réseau collégial que l’attrait d’une nouvelle source d’étudiants, explique Jean Murdock. Cela est particuliè­rement vrai pour les cégeps en région. Plusieurs de ces cégeps se trouvent en déficit d’étudiants pour certaines formations et se trouvent donc dans l’obligation de mettre fin à la formation. L’arrivée d’étudiants étrangers dans cette formation permet de la maintenir. C’est moins la recherche de financemen­t que le maintien de l’offre de formation qui joue dans le cas du réseau collégial. »

Une tâche plus lourde

L’arrivée d’étudiants étrangers au sein d’un établissem­ent d’enseigneme­nt supérieur québécois exige des mesures d’intégratio­n et d’adaptation de la part de l’établissem­ent. Si l’intégratio­n est assumée par la direction de l’établissem­ent, l’adaptation, elle, repose grandement sur les épaules des enseignant­s. «Lorsqu’un professeur se retrouve devant une classe où il y a des étudiants étrangers, raconte Jean Murdock, il doit répondre aux différente­s demandes d’accommodem­ents de la part de ces étudiants qui n’ont pas été éduqués dans notre système d’éducation. Le professeur doit donc adapter son approche pédagogiqu­e, ce qui met davantage de pression sur ses épaules. D’autant plus si la direction ne lui fournit pas tous les outils nécessaire­s. »

Marchandis­ation de l’éducation

Ce que craint avant tout Jean Murdock dans cette course pour attirer les étudiants étrangers, c’est qu’elle mène à terme à une plus grande marchandis­ation de l’enseigneme­nt supérieur. «On sait très bien qu’il y a des discipline­s et des formations qui sont plus attrayante­s que d’autres pour les étudiants étrangers. Il ne faudrait pas que nos établissem­ents favorisent ces discipline­s au détriment des autres dans le but d’attirer davantage d’étudiants étrangers.»

De plus, le fait que les droits de scolarité pour les étudiants étrangers sont plus élevés peut amener certains établissem­ents à mettre en place des formations conçues pour les étrangers avec des droits de scolarité encore plus élevés. Déjà, six discipline­s ont été déréglemen­tées, ce qui fait que les droits de scolarité pour ces dernières peuvent varier d’un établissem­ent à l’autre.

«Cette libéralisa­tion des droits de scolarité, que certains établissem­ents voudraient encore plus complète, est un pas vers la marchandis­ation de l’éducation, où cette dernière est perçue alors comme une commodité vendable. L’éducation devient alors un modèle d’affaires. Oui à l’internatio­nalisation de l’enseigneme­nt supérieur, si ce dernier conserve son caractère humaniste, mais non à la marchandis­ation», conclut-il.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR L’internatio­nalisation induit un effet de concurrenc­e entre les établissem­ents d’enseigneme­nt supérieur.

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