Le Devoir

Cet amour-là

Jamie Bell et Peter Turner mettent des mots et des images sur l’idylle entre ce dernier et Gloria Grahame

- FRANÇOIS LÉVESQUE LE DEVOIR

L ’histoire d’amour au coeur de Film Stars Don’t Die in Liverpool a l’air d’autant plus arrangée avec le gars des vues qu’elle est campée dans le monde du cinéma. Elle n’en est pas moins bel et bien vraie. Ainsi le long métrage de Paul McGuigan est-il une adaptation de l’ouvrage autobiogra­phique de Peter Turner qui, aspirant acteur dans l’Angleterre des années 1970, vécut une folle passion avec Gloria Grahame, vedette hollywoodi­enne des années 1940-1950 alors réduite à courir le cachet. Annette Bening incarne la comédienne en fin de parcours tandis que Jamie Bell tient le rôle de Turner, qui se dit ému du résultat, entre autres confidence­s.

«Je suis sans vergogne dans mon admiration pour le film, pour le travail d’Annette et de Jamie et de Paul», s’excuse presque Peter Turner au bout du fil.

Dans sa voix, on discerne un mélange de joie et de chagrin. Normal, puisque ce sont là des fragments d’un bonheur enfui qui sont évoqués, quoique le film, comme le livre, ne soit pas dénué d’humour.

Jeux de miroirs

L’action démarre à Londres dans une loge de théâtre. Une actrice s’y maquille pour la scène. Entre deux exercices de diction, elle répète son texte (on reconnaît La ménagerie de verre).

Il s’agit de Gloria Grahame, vedette de classiques du film noir comme Crossfire (Edward Dmytr yk, 1947), In

a Lonely Place (Le violent, Nicholas Ray, 1950) et Sudden Fear (David Miller, 1952), et lauréate d’un Oscar pour The Bad and the Beautiful (Les

ensorcelés, Vincente Minnelli, 1952). Le décor décati est à l’image du lustre affadi de la star, qui bientôt s’effondre. À sa demande, elle est transporté­e dans une famille ouvrière de Liverpool où elle retrouve Peter Turner, jeune homme avec qui elle a récemment interrompu une idylle.

Par retours en arrière interposés, tous deux revivent une romance «mai-décembre» qui entre dans son troisième et dernier acte.

L’actrice parfaite

Ironiqueme­nt, ce récit tournant autour d’une légende du grand écran mit du temps à être adapté au cinéma, qui aime pourtant se regarder.

«Gloria est décédée en 1981 et mon livre est paru en 1986, rappelle Peter Turner. En 1994, Barbara Broccoli [productric­e des aventures de James Bond] en a acquis les droits, mais comme c’est souvent le cas en cinéma, de retards en désistemen­ts, rien ne s’est passé pendant de longues années. »

En fait, un développem­ent majeur était déjà survenu, mais à l’insu de l’auteur. En effet, en 1989, durant la préproduct­ion du néo-noir The Grifters

(Les arnaqueurs), le cinéaste Stephen Frears demanda à Annette Bening de regarder les films de Gloria Grahame, en guise de préparatio­n.

«Gloria conférait aux rôles de femme fatale une complexité inouïe, note M. Turner. Elle était une actrice prodigieus­e, mais elle était anticonfor­miste, elle avait du caractère. Hollywood détestait ça chez une femme. »

Échos contempora­ins. Quoi qu’il en soit, Annette Bening comprit qu’elle était quasiment le sosie de Gloria Grahame. «En apprenant l’existence de mon livre et du scénario, Annette a fait connaître son intérêt. Elle est restée associée au projet des années.»

L’attente en valut la peine. Non seulement Annette Bening avait-elle atteint l’âge de Gloria Grahame au moment des faits lorsque le financemen­t fut enfin réuni, mais en Jamie Bell, elle trouvait le partenaire idéal.

Unique, étrange, touchant

Fait intéressan­t, l’acteur révélé en 2000 dans le merveilleu­x Billy Elliot n’avait encore jamais joué un «premier rôle romantique» avant d’accepter d’interpréte­r Peter Turner.

«Je n’y avais pas pensé, mais c’est exact, opine Jamie Bell lors d’un entretien téléphoniq­ue. On m’en a proposé, mais aucun ne m’a interpellé. Le plus curieux avec ce film-ci, c’est que lorsqu’on m’a envoyé le scénario, je ne connaissai­s rien de cette histoire que j’ai trouvée invraisemb­lable à ma première lecture. Pas à cause de la différence d’âge, mais à cause du contexte: cette ancienne

vedette hollywoodi­enne qui aboutit à Liverpool… Mais voilà, c’était vrai! J’ai relu le scénario, et là j’ai été séduit. Tout à coup, je découvrais un récit unique, étrange et touchant. »

Touché, Jamie Bell le fut notamment par le volet familial. «Le père et la mère de Peter n’ont pas jugé la relation entre leur fils et cette actrice bien plus âgée que lui, ni au début, ni lorsqu’elle est venue s’installer chez eux. Même à cette époque, ils étaient capables d’une ouverture merveilleu­se.»

La perspectiv­e de donner la réplique à Annette Bening fut un argument additionne­l, et la chimie qui est leur est de celles qui ne se simulent pas.

Beau paradoxe

Parlant de ne pas tricher, corollaire des similitude­s physiques entre Annette Bening et Gloria Grahame, la production put utiliser nombre d’extraits de films de la seconde sans trucage numérique. Peter Turner précise à cet égard: «Il ne faut pas oublier qu’alors, il n’y avait pas d’Internet ni de clubs vidéo. Je connaissai­s la réputation de Gloria par mes parents, qui étaient des admirateur­s de la première heure. Il fallait attraper un film à la télé, ou une projection spéciale au cinéma. Pour moi, son aura de star, c’était abstrait quand je l’ai connue. Voir Annette, qui lui ressemble tellement, à l’époque où je l’ai rencontrée… Je ne vous cache pas que j’ai été bouleversé en voyant le film la première fois. »

Comme quoi la magie du cinéma, ici par surcroît toile de fond, fonctionne dans Film Stars Don’t Die in Liverpool. Cela, même après que le film eut dévoilé à la fin ses trucages et artifices.

L’histoire d’amour à laquelle on vient d’assister, beau paradoxe, n’en paraît que plus vraie encore.

Le film Film Stars Don’t Die in Liverpool prend l’affiche le 2 février.

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MÉTROPOLE FILMS Annette Bening avait atteint l’âge de Gloria Grahame au moment des faits lorsque le financemen­t fut enfin réuni pour le tournage du film. Et en Jamie Bell, elle trouvait le partenaire idéal.
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SONIA RECCHIA AGENCE FRANCE-PRESSE « Je suis sans vergogne dans mon admiration pour le film, pour le travail d’Annette et de Jamie et de Paul », admet Peter Turner.
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