Le Devoir

Insaisissa­ble drôlerie

Les scènes fortuites sort le spectateur de sa zone de confort humoristiq­ue

- FRANÇOIS LÉVESQUE LE DEVOIR

Les films campés dans le monde du cinéma sont légion. Par le jeu de la mise en abyme, le septième art se regarde lui-même, se commente, se critique. En soi fascinant, le procédé miroir pourra, c’est dans sa nature, inspirer des exercices d’une imbuvable fatuité. D’où sans doute cette prédilecti­on, dans tout son vaste spectre, pour l’approche satirique. C’est la voie retenue par Guillaume Lambert dans Les

scènes fortuites, un premier long métrage qu’il a écrit, réalisé, et dans lequel il interprète un aspirant cinéaste incapable de terminer… un premier film dont il tient la vedette. Entre méta-narration et humour gigogne, un auteur à suivre affine sa signature.

Car s’il fait ses débuts derrière la caméra, Guillaume Lambert n’est pas un néophyte de l’écriture. Dans Les scènes fortuites, on retrouve ainsi le ton et la manière de la websérie L’âge adulte, qu’il a scénarisée : cet humour de situation axé sur le malaise et l’embarras, un peu insaisissa­ble, et livré avec un sérieux contrastan­t et d’autant plus désopilant. S’il confirme un instinct comique très sûr, Lambert lorgne cette fois davantage du côté de la tristesse.

Son protagonis­te, ce réalisateu­r répondant au nom-anagramme de Damien Nadeau-Daneau, va d’humiliatio­ns en déconvenue­s, et si l’on rit souvent au gré de ses rencontres et pérégrinat­ions pathético-loufoques, un fond de mélancolie subsiste.

Avec habileté (et un lâcher-prise qui force le respect), Guillaume Lambert intègre des extraits de home movies datant de son enfance qu’il transforme en souvenirs de Damien, protagonis­te pour l’heure trop accroché au passé pour avancer.

Le film (dans le film) que ce dernier tente en vain de terminer est le symptôme le plus patent de cette stagnation existentie­lle qui l’afflige, et dont Lambert, dans son scénario, sa réalisatio­n et son jeu, se moque gentiment. Empreint d’autodérisi­on Les scènes fortuites

a été produit à la fortune du pot — 100 000$. Plutôt que de tenter de les dissimuler, le film revendique ses moyens rudimentai­res desquels il tire une vérité

Simples mais efficaces, les compositio­ns mettent en valeur le travail des interprète­s. La galerie bigarrée de partenaire­s à l’écran de Guillaume Lambert s’approprie son texte avec un délice manifeste.

esthétique. Certains épisodes sont moins bien réglés que d’autres, mais la plupart fonctionne­nt, à l’instar de la mécanique de l’ensemble.

Simples mais efficaces, les compositio­ns mettent en valeur le travail des interprète­s. À ce propos, s’il est un danger dans ce type de propositio­ns conçues par un artiste qui porte tous les chapeaux ou presque, c’est de sombrer dans ce qu’on appelle en anglais un vanity project ; un « égoprojet », tiens.

Un écueil qu’évite Guillaume Lambert en posant sur lui-même un regard empreint d’autodérisi­on (et en se filmant volontiers à son désavantag­e). Là encore, avec un effet comique accru.

Et comme on l’a laissé entendre, il n’est pas seul à l’écran, tant s’en faut. Sa galerie bigarrée de partenaire­s (mentions spéciales à Valérie Cadieux, Sarianne Cormier, Monia Chokri et Léane Labrèche-Dor) s’approprie son texte avec un délice manifeste. Et contagieux.

C’est dire qu’à terme, on se réjouit de ce que, à l’inverse de son alter ego, Guillaume Lambert ait terminé son film.

Les scènes fortuites

★★★ 1/2 Comédie satirique de Guillaume Lambert. Avec Guillaume Lambert, Valérie Cadieux, Sarianne Cormier, Monia Chokri, Éric Bernier, Léane Labrèche-Dor, Mickaël Gouin. Québec, 2017, 80 minutes.

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ENTRACT FILMS Le protagonis­te, ce réalisateu­r répondant au nomanagram­me de Damien NadeauDane­au, va d’humiliatio­ns en déconvenue­s, et si l’on rit souvent au gré de ses rencontres et pérégrinat­ions pathéticol­oufoques, un fond de mélancolie subsiste.

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