ILS ONT PIQUÉ NOTRE CURIOSITÉ
Premières amours
★★★ Michelle Le Normand, inédit présenté par Georges Aubin, Point du jour, L’Assomption, 2017, 280 pages On croit rêver! En 1911, Le Devoir, l’austère journal d’idées, est transformé, l’espace de quelques soupirs, en agence de rencontres et en courrier du coeur grâce à l’une de ses futures chroniqueuses: Michelle Le Normand (Marie-Antoinette Tardif de son vrai nom). Elle raconte sa conquête amoureuse aussi intempestive que naïve dans son journal intime.
L’amant impossible
La victime de ses ardeurs innocentes? C’est le poète Albert Lozeau, encore présent dans les anthologies d’aujourd’hui. Paralysé, atteint d’un mal incurable, il est l’amant impossible, inoffensif, qui correspond à la renversante désincarnation de la sexualité propre à nombre de Canadiennes françaises bien élevées de 1911.
Il a 33 ans, elle n’en a que 18. La future romancière s’éprend de lui en l’apercevant assis sur son balcon et lui écrit: «Monsieur, je vous adore. »
Déjà chroniqueur au Devoir, Lozeau lui répond en première page du quotidien en se référant à sa lettre: «J’accepte votre jeune amour. » Mais, l’année suivante, il publiera dans un recueil, imprimé parlejournal,cesvers:«Lapoussière de l’heure et la cendre du jour / Retombent sur nos coeurs comme une pluie amère. »
Fidèle à Duplessis
Il est conscient de l’extrême irréalisme des jeunes filles et de leur aveuglement ingénu dans un Québec où l’angélisme de tant de gens permettait à ceux-ci par étourderie les pires maladresses.
Lozeau mourra prématurément en 1924, rongé par la maladie chronique et condamné depuis longtemps à la solitude. Au début des années 1960, Michelle Le Normand, très éloignée du nouvel esprit du Devoir, restera fidèle au conservatisme de Maurice Duplessis et ne comprendra pas la Révolution tranquille.