Le Devoir

Québec pose des limites à la solidarité

Des milliers de personnes vulnérable­s sont privées de la hausse de 73 $ par mois annoncée par le ministre François Blais

- MARCO BÉLAIR-CIRINO Correspond­ant parlementa­ire à Québec

La hausse marquée des prestation­s de solidarité sociale passe sous le nez de milliers de personnes handicapée­s.

Le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale a haussé le 1er février la prestation mensuelle versée aux adultes ayant des contrainte­s sévères à l’emploi de 73dollars. Or, les personnes handicapée­s hébergées par une ressource intermédia­ire ou ressource de type familial n’ont pas touché un sou. C’est que la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) a haussé de 73$ la «contributi­on» exigée des prestatair­es de solidarité sociale pour défrayer en partie les coûts de leur hébergemen­t.

Tout résident — peu importe s’il a des contrainte­s, temporaire­s ou permanente­s, à l’emploi ou non — continuera de recevoir l’« allocation de dépenses personnell­es». Celleci est fixée à 215$ depuis le 1er janvier, soit trois dollars de plus comparativ­ement à l’année 2017.

«Le gouverneme­nt donne d’une main et reprend de l’autre », dénonce Nicole David dans un entretien avec Le Devoir. Elle reproche au gouverneme­nt libéral de l’avoir « leurrée ».

La curatrice privée avait accueilli avec enthousias­me le Plan d’action gouverneme­ntal pour l’inclusion économique et la participat­ion sociale en décembre dernier. Elle croyait que son protégé, Jean-Pierre (nom fictif), pourrait dorénavant mettre de côté un montant d’argent afin d’acquitter les frais d’inscriptio­n à un camp d’été ou encore procéder à l’achat d’une paire de chaussures orthopédiq­ues. Elle avait tort.

Mme David a déchanté en prenant connaissan­ce d’une lettre de la RAMQ informant que le loyer exigé à son proche, dont elle assure la protection depuis plus de 20 ans, passe de 747 $ à 820 $ par mois à compter du 1er février.

« Nous faisons un geste concret afin de faire reculer la pauvreté», avait déclaré le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, François Blais, à la mi-décembre, tout en pointant le Plan d’action gouverneme­ntal pour l’inclusion économique et la participat­ion sociale. « Grâce à l’ensemble des investisse­ments qui sont liés à ce plan, le Québec atteindra

Le ministère de la Solidarité sociale donne un chèque que la RAMQ s’empresse de réclamer

progressiv­ement les rangs des nations industrial­isées comptant le moins de personnes pauvres », avait-il ajouté.

« C’était de la poudre aux yeux, lance Mme David. Ça me choquait d’entendre le ministre dire cela. Avec trois dollars de plus par mois, [Jean-Pierre] ne peut pas se payer plus de choses qu’avant. »

Jean-Pierre est «très vif», malgré une forme grave d’autisme qui le laisse muet. Le pied bot restreint sa mobilité. «Un examen du cerveau l’a laissé avec une boiterie très sévère, qui a augmenté avec les années. Il s’est retrouvé dans un fauteuil roulant — il y est la plupart du temps —, alors qu’il est né normal et courait dans les champs », relate Mme David.

Jean-Pierre utilise son «allocation de dépenses personnell­es» de 215$ pour s’acheter des médicament­s, des crèmes et des produits d’hygiène à la pharmacie. La facture oscille autour de 80dollars. À celle-ci s’ajoutent les frais demandés pour assurer ses soins d’hygiène corporelle — rasage, coiffure — par le centre de réadaptati­on dans lequel il se trouve.

«De temps en temps, il faut ajouter un montant pour acheter des vêtements et des petites affaires», explique-t-elle. Au rayon des «petites affaires», elle donne en exemple un ventilateu­r qu’elle a acheté puisque la chambre de JeanPierre n’est pas raccordée à un système de climatisat­ion. «Il est à la limite depuis tout le temps. On ne peut pas mettre de côté de l’argent », résume-t-elle.

Nicole David prête main-forte à son protégé lorsqu’il est temps de l’inscrire dans un camp d’été, d’acheter de nouvelles chaussures orthopédiq­ues ou encore un nouveau manteau d’hiver. «Moi, je le paie. Il n’est pas capable de s’acheter un manteau d’hiver, sauf une affaire dans laquelle il aurait gelé. Parfois, il attend dans un fauteuil roulant sur le bord du trottoir», souligne-t-elle. «Dès qu’une affaire dépasse, je la lui paie. »

Nicole David se préoccupe du sort des personnes handicapée­s sous curatelle publique, qui n’ont pas un membre de leur famille en mesure de signer un chèque lorsque la situation le commande. «[Jean-Pierre], lui, il est “chanceux” parce que je suis sa curatrice privée, mais ceux qui font énormément pitié là-dedans, ce sont ceux qui sont sous la curatelle publique. Eux, ils n’auront pas plus qu’avant. La curatelle publique ne paie pas pour des dépenses additionne­lles. Donc, les pauvres vont rester tels quels », déplore-t-elle.

Le départ de Jean-Pierre pour le camp d’été lui brise le coeur. Les protégés de l’État, eux, ne peuvent y aller, faute de moyens, fait-elle remarquer. « C’est ce que je trouve le plus déchirant », laisse tomber la dame à l’autre bout du fil.

La Confédérat­ion des organismes de personnes handicapée­s du Québec (COPHAN) appelle le gouverneme­nt libéral à entreprend­re des «actions significat­ives», qui permettrai­ent aux milliers de personnes vulnérable­s en ressources intermédia­ires, en ressources de type familial et aux adultes de moins de 65 ans hébergés en CHSLD à «avoir une vie décente». «On s’attendait à ce qu’il y ait une cohérence dans les actions gouverneme­ntales», affirme la présidente de la COPHAN, Véronique Vézina.

Le PQ et QS s’indignent, la CAQ étudie le dossier

En dépit de l’«annonce en grande pompe» du gouverneme­nt libéral, «rien ne va changer pour les personnes vulnérable­s hébergées dans les ressources intermédia­ires», se désole le député péquiste Dave Turcotte. «Le Parti québécois, lui, va valoriser les ressources intermédia­ires et l’extraordin­aire travail qui s’y fait. Il va soutenir le développem­ent du réseau, lui donner des moyens, tout en s’assurant qu’il demeure à dimension humaine », soutient-il à huit mois des élections générales.

« Est-ce que le gouverneme­nt libéral souhaite réellement sortir le monde de la pauvreté?» se demande aussi la porte-parole de Québec solidaire Manon Massé. «Ce qu’il donne d’un côté aux prestatair­es de solidarité sociale avec le revenu de base, on l’enlève de l’autre à ceux et celles qui vivent dans une ressource intermédia­ire. C’est indécent, surtout lorsque le gouverneme­nt a des surplus. Pendant que les plus riches et les entreprise­s ont des baisses d’impôt, les gens les plus pauvres du Québec ne reçoivent rien », ajoute-t-elle.

De son côté, la Coalition avenir Québec s’est abstenue de tout commentair­e. « Il faut prendre le temps d’analyser le dossier », a indiqué un attaché de presse. Vendredi soir, après plus de 36 heures, la réflexion du parti politique donné favori pour remporter les prochaines élections générales se poursuivai­t toujours.

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