Le Devoir

Marijuana, la ruée vers l’or vert. Notre dossier témoigne de la fébrilité des différents acteurs.

La valeur des titres de compagnies liés à la marijuana a triplé en moins d’un an

- FRANÇOIS DESJARDINS

Un bassin d’usagers qui compte déjà 235 000 patients inscrits, des titres dont la valeur boursière triple en moins d’un an, des producteur­s qui achètent leurs concurrent­s, des analystes qui n’hésitent pas à parler d’une bulle: l’industrie canadienne du cannabis médical, qui voit le déblocage du marché récréatif cette année comme un tremplin vers l’internatio­nal, se dépêche de tout mettre

Les exportatio­ns prennent des allures d’eldorado. En Italie, par exemple, le cannabis médical est couvert par l’assurance.

en place. Une course qui témoigne d’un certain potentiel, mais qui appelle aussi à la prudence.

De 2001 à 2013, Santé Canada n’a eu qu’un seul fournisseu­r, CanniMed, une société de Saskatoon. Ils sont aujourd’hui 89 à détenir des permis de production un peu partout au pays, et les investisse­urs, flairant la bonne affaire, s’arrachent les actions de ceux qui se sont inscrits en Bourse.

Spéculatio­n ou simple réalisme devant la perspectiv­e de ces millions de consommate­urs susceptibl­es de passer du marché noir au marché légal ?

«Ce n’est pas le bon moment pour investir», croit Mark Rosen, un juricompta­ble qui a cofondé le cabinet torontois Accountabi­lity Research. Les compagnies ne dégagent à peu près pas de profits et elles dépensent davantage que ce qui entre dans leurs coffres, dit-il. Si un investisse­ur achetait quelques centaines d’actions demain matin, il pourrait être pas mal déçu. Les revenus de l’industrie ne justifient pas la valeur globale boursière des compagnies. Quelque chose va casser. Et les plus petits noms pourraient perdre beaucoup de valeur.» Vendredi, quelques jours après l’entrevue, certains titres ont perdu plus de 10 % et 15 % dès l’ouverture des marchés.

Acheter à gros prix

CanniMed, d’ailleurs, vient d’accepter une offre d’achat hostile de la part d’Aurora Cannabis, un concurrent qui construit un immense complexe sur les terrains de l’aéroport d’Edmonton et qui possède également un site de production à Pointe-Claire. La bataille, pendant laquelle Aurora a été obligée d’en mettre plus sur la table, a duré un mois et demi. Finalement, Aurora paiera 1,1 milliard en actions et en argent comptant… pour une compagnie dont les revenus de l’an dernier étaient de 17 millions.

« Ce que nous achetons, c’est une compagnie dont la philosophi­e de production est comme la nôtre, basée sur une très haute technologi­e. Ça nous distingue de nos pairs», dit Cam Battley, vice-président d’Aurora Cannabis.

«Le but est de devenir un joueur mondial, dominant et entièremen­t intégré. Il faut faire vite. Il y a une fenêtre sans précédent où les compagnies canadienne­s peuvent faire leur marque à l’échelle mondiale, pratiqueme­nt sans concurrenc­e. »

Si les exportatio­ns prennent des allures d’eldorado, c’est que certains marchés ont des particular­ités intéressan­tes. En Italie, par exemple, le cannabis médical est couvert par l’assurance.

La flambée du prix des actions ne représente pas ce que valent actuelleme­nt les compagnies, reconnaît Cam Battley. «Mais ce n’est pas une situation typique où vous investisse­z dans des compagnies à croissance lente qui sont là depuis des décennies. Nous avons l’occasion de créer des compagnies mondiales à grande vitesse.» Les valeurs boursières des grandes compagnies reflètent les prévisions des analystes pour les revenus et profits en 2019, dit-il.

«Est-ce que c’est comme la bulle techno? Non. Ce que nous avons, c’est un marché qui existe déjà et qui est solide. Ce marché est mûr pour passer entre les mains d’une industrie réglementé­e. »

Un marché existant

Invité à faire une comparaiso­n avec la bulle techno, l’analyste Chris Damas, éditeur du BCMI Cannabis Report, fait lui aussi remarquer que les usagers existent déjà.

«C’est un produit consommabl­e. C’est déjà là, les gens fument. Statistiqu­e Canada dit qu’il y a 4,9 millions d’usagers au Canada. On ne les a pas découverts du jour au lendemain.» Qui va en bénéficier? «Le gouverneme­nt, les grands producteur­s licenciés, les clients si la qualité est supérieure au produit du marché noir. C’est un transfert de richesse.»

Les sociétés viables, selon M. Damas, qui est également analyste en produits agricoles et fertilisan­ts, seront celles ayant une présence dans toutes les provinces ou une capacité d’exporter. «Mais pour un producteur provincial qui n’a aucune capacité d’exporter, il faudra miser sur un produit qui se distingue, comme une microbrass­erie. » Tout dépendant du marketing qui sera permis, évidemment.

Des règles mouvantes

La semaine dernière, Santé Canada a pris de court les producteur­s du cannabis médical en éliminant une règle en place depuis 2013: l’installati­on de voûtes «hautement sécurisées», en béton armé et construite­s à grands frais.

Finie, aussi, la surveillan­ce vidéo 24 heures sur 24 heures au-dessus des plantes. Pourquoi? Même après mille inspection­s, le ministère n’a détecté aucun détourneme­nt vers le marché noir.

Un consultant interviewé par le Financial Post a affirmé que si le changement soudain peut froisser certaines compagnies en démarrage, il traduit aussi le fait que Santé Canada prend des décisions ancrées dans le réel. D’autres ont dit qu’ils auraient acheté une voûte quand même, ne serait-ce que pour satisfaire les assureurs.

«Ça veut dire que nous avons dépensé des millions pour des voûtes dont nous n’avons pas besoin aujourd’hui, semble-t-il, reconnaît Cam Battley, d’Aurora Cannabis. Mais nous n’allons pas pleurer des larmes de crocodile. Il fallait faire les preuves du système. »

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ISTOCK L’industrie canadienne du cannabis médical, qui voit le déblocage du marché récréatif cette année comme un tremplin vers l’internatio­nal, se dépêche de tout mettre en place. Une course qui témoigne d’un certain potentiel, mais qui appelle aussi à la...

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