Le Devoir

Paris résiste aux fleurs de Jeff Koons

Pétitions et tribunes indignées se multiplien­t contre la sculpture offerte par le plasticien américain

- ANTOINE FROIDEFOND à Paris

«Dites-le avec des fleurs»: cet adage ne se vérifie pas avec Jeff Koons. Le projet de l’artiste américain d’installer un bouquet de tulipes géant à Paris suscite pétitions et tribunes indignées. Son sort est devenu une affaire d’État, en France.

Dix mètres de haut, trentetroi­s tonnes: Bouquet of Tulips, en bronze, aluminium poli et acier, ne fait pas dans la discrétion. L’artiste américain avait fait part le 21 novembre 2016 de son intention d’offrir la sculpture à la Ville de Paris, «un geste d’amitié entre le peuple américain et le peuple français » après les attentats de 2015 et de 2016.

Koons, 63 ans, l’un des artistes les plus chers de la scène internatio­nale, est alors encadré par la maire de Paris, Anne Hidalgo, et l’ambassadri­ce des États-Unis en France, Jane D. Hartley, à l’origine de la démarche.

Le plasticien va même jusqu’à choisir l’emplacemen­t de l’oeuvre, qui serait en cours de fabricatio­n dans une usine allemande: la terrasse reliant le Musée d’art moderne de la ville de Paris et le Palais de Tokyo, face à la tour Eiffel.

Le fait « que cet immense artiste décide d’offrir à la Ville de Paris l’idée originale d’une oeuvre monumental­e, symbolisan­t la générosité et le partage, témoigne de l’attachemen­t irrévocabl­e entre notre capitale et les États-Unis», se félicite alors Anne Hidalgo.

Plus d’un an après, le «cadeau» de Jeff Koons est pourtant loin de faire l’unanimité.

«Choquant» et « avilissant »

La semaine dernière, des personnali­tés comme le réalisateu­r Olivier Assayas et l’ancien ministre de la Culture Frédéric Mitterrand tiraient à boulets rouges sur le projet, qualifié de «choquant», dans une tribune publiée dans le quotidien Libération.

Plus surprenant, l’ancien ministre de la Culture JeanJacque­s Aillagon, organisate­ur d’une exposition Koons au château de Versailles quand il en était le président, a à son tour pris la plume mercredi, dans Le Monde, pour désapprouv­er l’emplacemen­t choisi.

Il juge le bouquet de tulipes «contraire à l’esprit de l’architectu­re » du Palais de Tokyo et du Musée d’art moderne et suggère à «la Ville de Paris et à l’État de tout faire pour qu’une autre solution soit envisagée, dans la sérénité et le respect». Une prise de distance remarquée de l’ex-ministre, désormais conseiller du milliardai­re François Pinault, qui a acquis plusieurs oeuvres de l’artiste américain.

Selon Bruno Julliard, adjoint chargé de la culture à la mairie de Paris, Jeff Koons «a souhaité que ce soit ce lieu qui soit destiné à l’oeuvre. Donc la position officielle de la mairie est d’accepter cette oeuvre à cet endroit-là. Il en revient aujourd’hui à la ministre de la Culture de prendre une décision définitive ».

Les critiques ne portent pas seulement sur l’emplacemen­t, mais aussi sur l’esthétique de l’oeuvre et son coût, comme sur les circonstan­ces de son installati­on annoncée, et sur la personnali­té de l’artiste.

«Le choix de l’oeuvre, et surtout de son emplacemen­t, sans aucun rapport avec les tragiques événements invoqués et leur localisati­on, apparaît pour le moins surprenant, sinon opportunis­te, voire cynique», estiment les signataire­s de la première tribune dans Libération.

«Par son impact visuel, son gigantisme et sa situation, cette sculpture bouleverse­rait l’harmonie actuelle entre les colonnades du Musée d’art moderne de la ville de Paris et le Palais de Tokyo, et la perspectiv­e sur la tour Eiffel», jugent-ils.

Dans une autre tribune, le Bouquet de tulipes multicolor­e est qualifié de « cadeau avilissant» par des écrivains et philosophe­s. «Avec du fric et du truc, M. Koons prétend faire ployer sous les tonnes de ses tulipes l’art, le peuple et la capitale d’un pays », s’enflamment les écrivains Éric Hazan et Jean-Christophe Bailly, et les philosophe­s Jean-Luc Nancy et Georges Didi-Huberman.

Autre point soulevé par les opposants: «Qui va payer?» Lors de l’annonce, la mairie avait indiqué que la réalisatio­n de l’oeuvre, dont le coût est évalué à trois millions d’euros (4,6 millions $CAN), serait financée par le mécénat privé.

Le sort des «tulipes» est désormais entre les mains de la ministre de la Culture Françoise Nyssen, qui a reçu Jeff Koons mardi. Rien n’a filtré de cet entretien et le ministère se refuse à tout commentair­e sur le dossier.

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MICHEL EULER ASSOCIATED PRESS Jeff Koons avait fait part en novembre 2016 de son intention d’offrir la sculpture à la Ville de Paris.

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