Camil Bouchard vient épauler le PQ
Le rôle de l’État sera assurément l’un des principaux enjeux de la campagne électorale
Le Parti québécois est finalement parvenu à attirer l’attention de l’électorat en promettant il y a 10 jours de plafonner le tarif des quelque 230 000 places à contribution réduite en services de garde à 8,05$ par jour. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin? demande l’ex-député de Vachon Camil Bouchard. Entrevue
Places gratuites pour tous les enfants dans les centres de la petite enfance (CPE), retrait progressif des permis octroyés aux garderies privées, campagne de recrutement des enfants issus d’une famille immigrante ou d’un milieu défavorisé : l’homme de 72 ans a des idées plein la tête. Il prend déjà goût à son rôle de conseiller spécial à l’enfance et à la famille du « ticket » formé par Jean-François Lisée et Véronique Hivon.
Le rôle de l’État québécois — au premier chef dans le développement des enfants — constituera à coup sûr l’un des principaux enjeux de la prochaine campagne électorale. Un indice: l’empressement de la Coalition avenir Québec à promettre des prématernelles 4 ans (non obligatoires) à tous les enfants du Québec, puis celui du Parti québécois à promettre une réduction de la facture des services de garde éducatifs à l’enfance.
Les Québécois seront appelés le 1er octobre prochain à choisir entre un «État qui prend soin de son monde» et des baisses d’impôt: l’un ou l’autre, avance Camil Bouchard. «C’est ça, la ballot question. Que choisit-on ? »
L’auteur du rapport Un Québec fou de ses enfants invite les électeurs à se méfier de la promesse du chef caquiste, François Legault, de renforcer les services aux enfants éprouvant des problèmes d’apprentissage tout en «remettant de l’argent dans le portefeuille des familles», notamment par l’uniformisation du taux de taxe scolaire au Québec et l’octroi d’une aide financière accrue aux parents de plus d’un enfant.
Un modèle sous pression
M. Bouchard se mêlera à la « bagarre » afin de défendre le «modèle québécois» des CPE contre les assauts de la CAQ et du PLQ — qui sont tous deux à la solde de l’Institut économique de Montréal, selon lui. «Je suis passionné. J’aime ça, la bagarre», avertit-il.
Le chercheur plaide pour le renforcement du réseau de CPE, qui comptait 94 743 places en décembre 2017 comparativement à 91 604 places en milieu familial et 112 726 places en garderies privées (42% subventionnées, 58% non subventionnées). Au fil des dernières années, le déploiement des CPE au Québec a été ralenti pour des considérations idéologiques au profit des garderies privées, soupçonne M. Bouchard. «Les libéraux se sont éloignés de la science. Ils n’ont qu’écouté les avis de l’Institut économique de Montréal qui leur disait: “Ça nous coûte trop cher. L’État est trop gros.” Ils ont choisi d’investir dans le réseau qui est le moins intéressant pour le développement et le bien-être des enfants. Ils ont octroyé des permis à la va-comme-je-tepousse », déplore-t-il.
Les garderies privées non subventionnées ont proliféré sous le gouvernement libéral. En effet, le réseau comptait 65 782 places en décembre dernier, soit 26 500 places de plus qu’en mars 2013.
D’ailleurs, le nombre de personnes se prévalant du crédit d’impôt pour frais de garde d’enfants a bondi depuis l’arrivée de Philippe Couillard aux «vraies affaires» de l’État (504 777 bénéficiaires en 2017 contre 453 826 bénéficiaires
en 2013). La facture: 100 millions de plus par année. Le gouvernement québécois a déboursé 652 millions en 2017, et ce, comparativement à 550 millions en 2013, selon Revenu Québec.
La CAQ voit cela d’un bon oeil. «On est en faveur du modèle des garderies privées non subventionnées. On pense que c’est un modèle d’affaires intéressant, on pense qu’il faut le soutenir, qu’il faut l’encourager. Maintenant, les CPE sont là, ils existent, c’est correct aussi. On a une espèce de modèle mixte actuellement au Québec, on compose avec ça, on pense que c’est une bonne chose», a dit la porte-parole en matière de famille, Geneviève Guilbault, au lendemain de sa victoire éclatante à l’élection partielle dans Louis-Hébert l’automne dernier.
Nouvelle bataille
Camil Bouchard propose, lui, d'«accélérer» le développement des centres de la petite enfance, tout en retirant progressivement les permis octroyés aux garderies privées. «En installation, la quasi-totalité des places devrait être en CPE», où les éducateurs cumulent en moyenne 10 années d’expérience comparativement à deux ans et demi dans les garderies privées subventionnées, soutient-il.
D’ailleurs, le roulement de personnel ainsi que la formation inadéquate des éducateurs dans les garderies familiales et commerciales expliquent un écart de satisfaction important entre les types d’établissements, croient les auteurs de l’enquête Grandir en qualité. 45% des CPE ont obtenu une cote de bonne à excellente, comparativement à 20 % pour les services de garde en milieu familial et 12% pour les garderies privées non subventionnées, ontils constaté en 2014.
Plus que la conciliation famille-travail
Le Québec n’a pas récolté tous les fruits des CPE, croit Camil Bouchard. La création des centres de la petite enfance (CPE) et l’instauration du Régime québécois d’assurance parentale ont permis des avancées importantes sur le front de la conciliation famille-travail. Le Québec s’est imposé comme la province canadienne où la proportion des mères sur le marché du travail est la plus élevée.
Le psychologue appelle aujourd’hui les décideurs politiques à redoubler d’efforts afin d’atteindre le second objectif, soit celui d’assurer le développement global du plus grand nombre d’enfants de 0 à 5 ans possible.
Le risque de voir un enfant issu d’un milieu défavorisé arriver à l’école primaire avec un retard de développement est trois fois plus important que s’il avait fréquenté un autre type de service de garde, martèle M. Bouchard, pointant une étude de la Direction de santé publique de Montréal. «Or, je n’ai jamais vu d’efforts faits systématiquement pour inviter les parents qui seraient sous-scolarisés, qui seraient des immigrants, qui auraient de la difficulté à s’intégrer
dans la société francophone [à inscrire leur enfant dans un CPE] », dit-il avec regret.
L’ancien élu de l’Assemblée nationale ne propose toutefois pas de mettre sur pied un programme d’accès à l’égalité (discrimination positive). «Moi, je veux que le Québec […] considère suffisamment les services de garde éducatifs pour que la gratuité s’installe pour tout le monde », lance-t-il.
Même le chef du PQ, Jean-François Lisée, ne pourrait le convaincre du contraire. L’ex-ministre de la Famille Nicole Léger en sait quelque chose. M. Bouchard avait dénoncé avec énergie la hausse du tarif de garde annoncée par le gouvernement Marois (de 7$ à 8$, puis de 8$ à 9 $) de la contribution quotidienne des parents.
Le chef de l’opposition officielle, Philippe Couillard, avait dénoncé une hausse «trop rapide, trop soudaine pour les contribuables». Le PLQ prônera pour sa part une indexation des coûts, à partir du tarif de 7$, avait-il dit.
Mais, au pouvoir, M. Couillard a demandé aux parents d’enfants dans un CPE, un service de garde en milieu familial ou encore dans une garderie privée subventionnée une contribution de base (fixée à 8,05$ par jour depuis le 1er janvier 2018) et une contribution additionnelle modulée selon le revenu familial (13,90$ par jour maximum). «La contribution additionnelle est réduite de moitié pour le second enfant. Aucune contribution additionnelle n’est demandée à l’égard du troisième enfant et des suivants », précise le ministère de la Famille.
La «contribution additionnelle» s’envolera, promet le PQ.
« On commence là. Si, dans 10 ans, on pouvait offrir la gratuité à tout le monde, ce serait super», dit M. Bouchard. En plus de «lever les obstacles» liés à la tarification, l’État doit augmenter les «efforts de démarchage» auprès des familles immigrantes et des familles issues d’un milieu défavorisé, fait valoir M. Bouchard. «On peut être plus invitants. Il faut que tous les enfants aient accès à des environnements privilégiés. »
L’ex-député de Vachon — assis dans le Salon bleu, de 2003 à 2010, «à quelques mètres du pouvoir de décider» — avait tout d’abord décliné la proposition du chef péquiste, Jean-François Lisée, d’agir à titre de conseiller spécial à l’enfance et à la famille au PQ. Il s’est ravisé quelques semaines plus tard. «J’ai fléchi quand j’ai vu augmenter les scores de la CAQ. »
D’ailleurs, M. Bouchard avoue avoir du mal à «décoder» François Legault, qu’il a côtoyé au PQ. Cela dit, l’ex-ministre péquiste est doté d’une force de persuasion exceptionnelle, reconnaît-il. «Je l’ai connu comme indépendantiste. Je l’ai invité à venir dans ma circonscription donner une conférence sur le budget de l’an 1. Il aurait convaincu n’importe qui», conclut-il, sourire en coin.