Le Devoir

Un risque de reperdre le Vietnam

-

Lancée le 30 janvier 1968 par le Vietnam du Nord et ses alliés Viet-cong, l’offensive du Têt acheva les illusions de victoire américaine en Asie du Sud-Est. Cinquante ans plus tard, le spectre de la guerre n’est certes pas totalement dissipé. Le déplacemen­t au Vietnam la semaine dernière du secrétaire à la Défense James Mattis n’avait pourtant pas vocation commémorat­ive. Son objectif était avant tout de souligner l’importance de la relation stratégiqu­e entre Hanoï et Washington dans une région où l’affirmatio­n de la Chine suscite quelques inquiétude­s et tensions.

L’offensive du Têt se termina fin février 1968 avec la reprise de la ville de Hue par les Américains et leurs alliés sud-vietnamien­s. Si, d’un strict point de vue militaire, ceux-ci purent clamer victoire, politiquem­ent, c’est bien le Vietnam du Nord et son allié Viet-cong, malgré leurs 40 000 pertes, qui remportère­nt la bataille. À la fin de ces quelques semaines de combats violents, le lien de confiance entre la population américaine et ses dirigeants politiques et militaires était rompu, la volonté de combattre des États-Unis défaite et les perspectiv­es de succès évaporées.

Un demi-siècle après le tournant décisif du conflit le plus traumatisa­nt de l’histoire américaine contempora­ine, James Mattis ne put totalement échapper à ce souvenir douloureux lors de sa visite de deux jours. Il a ainsi rencontré les membres de l’agence du départemen­t de la Défense chargée de retrouver et d’identifier les restes de quelque 1300 soldats toujours manquants. Il a également pu constater que la propagande saluant la victoire contre les Américains reste bien présente dans les rues de Hanoï.

Bien que les traces d’un passé tourmenté n’aient pas disparu, le Vietnam et les États-Unis entretienn­ent une relation de plus en plus étroite et à l’importance stratégiqu­e croissante. En effet, au cours des cinq dernières années, aucun autre pays d’Asie du SudEst que le Vietnam ne s’est opposé avec autant de déterminat­ion aux ambitions chinoises dans la région. Dans ce contexte, Hanoï et Washington ont établi sous la présidence Obama un partenaria­t renforcé s’étant traduit par la levée de l’interdicti­on de ventes d’armes américaine­s au Vietnam et par une coopératio­n militaire accrue.

Un demi-siècle après le tournant décisif du conflit le plus traumatisa­nt de l’histoire américaine contempora­ine, James Mattis ne put totalement échapper à ce souvenir douloureux lors de sa visite de deux jours

Dans la stratégie de défense nationale présentée il y a une dizaine de jours par le gouverneme­nt Trump, le Vietnam constitue même un pilier de l’architectu­re de sécurité qu’il entend mettre en place en Asie. Toutefois, depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, les dirigeants vietnamien­s semblent moins certains de vouloir tout miser sur leur relation avec Washington au détriment de leur approche traditionn­elle cherchant à maintenir un équilibre entre les États-Unis et la Chine.

Au cours des derniers mois, ils se sont ainsi montrés moins virulents vis-à-vis de cette dernière. Par exemple, après avoir accordé des droits d’exploratio­n à la compagnie pétrolière espagnole Repsol en mer de Chine méridional­e, ils ont suspendu les permis de forage à la suite de pressions exercées par Pékin. Fin novembre, les dirigeants vietnamien­s et chinois ont publié une déclaratio­n commune cordiale dans laquelle ils s’engagent à tout faire pour préserver la paix dans ces eaux hautement disputées.

De nombreux facteurs peuvent expliquer cette attitude plus conciliant­e de Hanoï à l’égard de la Chine. Celle-ci est un partenaire économique majeur qu’il ne faudrait pas froisser. Les Philippine­s furent un allié de poids dans la défense des intérêts des pays limitrophe­s de la mer de Chine méridional­e face aux revendicat­ions de Pékin. Elles sont aujourd’hui dirigées par un président, Duterte, qui se positionne résolument dans le camp chinois. Des enjeux de politique intérieure, tels que la lutte contre la corruption, ont également détourné l’attention des dirigeants vietnamien­s des dossiers de politique étrangère.

La défiance du président Trump vis-à-vis des accords de libre-échange et sa décision de retirer les États-Unis du partenaria­t transpacif­ique (dont aurait largement bénéficié l’économie vietnamien­ne) sont néanmoins déterminan­tes pour expliquer le comporteme­nt soudaineme­nt plus prudent de Hanoï. Mattis peut bien utiliser les appellatio­ns vietnamien­nes, indonésien­nes, ou philippine­s pour qualifier les zones disputées en mer de Chine méridional­e. Il a beau jeu de rappeler la déterminat­ion de Washington à y mener régulièrem­ent des opérations de libre circulatio­n maritime. Tant que Trump ne comprendra pas l’importance stratégiqu­e des accords commerciau­x pour asseoir la crédibilit­é de l’engagement américain, il affaiblira la position des États-Unis en Asie-Pacifique.

JULIEN TOURREILLE

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada