Le Devoir

La politique du charisme

Les nouveaux modèles de leaders positifs peuvent-ils servir d’inspiratio­n ?

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Jean-François Lisée, chef du Parti québécois réputé hautain et distant, a annoncé fin janvier la promotion de sa collègue députée Véronique Hivon au poste de vice-chef de leur formation. Le PQ stagne à 20 % dans les intentions de vote. La Coalition avenir Québec attire le double des parts potentiell­es. Et les jeunes (18-35 ans) se disent plus attirés par le Parti libéral du Québec, au pouvoir depuis le début du siècle, selon le dernier sondage Léger–Le Devoir. Bref, le PQ est dans les câbles, pour ne pas dire a un genou par terre, et il lui faut contre-attaquer, quitte à inventer un poste de deuxième chef.

Confier ce dernier à Mme Hivon semble tout naturel. Cette politicien­ne demeure une des plus estimées du Québec, avec un taux d’évaluation négatif d’à peine 5%, selon un coup de sonde récent. Elle a été décrite par le chroniqueu­r politique de L’actualité comme «une femme dynamique, jeune, respectée et associée à une manière noble de faire de la politique».

Le noeud de l’affaire semble loger là. Véronique Hivon annonce ce que Justin Trudeau réalise, ce que Valérie Plante confirme: une manière de «faire de la politique autrement», selon le nouveau slogan des faiseurs de rois et de reines. Et, non, la volte-face sur la réforme du mode de scrutin fédéral ou la hausse des taxes municipale­s ne changent rien au fait que ces politicien­s montrent effectivem­ent une nouvelle manière de faire de la politique.

Il y a aussi Emmanuel Macron en France. Ou le mouvement Run for Something aux États-Unis, qui encourage les jeunes, les femmes et les candidats issus des minorités à se présenter. En novembre, un scrutin en Virginie a fait élire une première candidate transgenre de l’histoire de la démocratie américaine.

Question de présentati­on

Le style, c’est l’homme. Et la femme aussi. Et toutes les nuances sont maintenant intersecti­onnées.

« Ces exemples de Véronique Hivon, de Valérie Plante ou d’Emmanuel Macron s’inscrivent dans une forme de renouveau de la pratique politique positive au lieu de la politique négative et critique qui s’en prend constammen­t aux opposants», commente la professeur­e Mireille Lalancette, spécialist­e de la communicat­ion politique et des représenta­tions médiatique­s de l’UQTR. «C’était d’ailleurs un des éléments clés de la campagne de Trudeau: il a fait une campagne positive, ce qu’ont aussi fait Macron et Valérie Plante. Je pense que les gens, surtout les jeunes, sont tannés d’une forme de politique agressive avec des publicités d’attaque. »

Elle cite l’exemple des comptes des réseaux sociaux du Parti conservate­ur du Canada, toujours dans la même vieille veine développée du temps de Stephen Harper autour d’une logique d’affronteme­nt et de dénonciati­on des libéraux et de Justin Trudeau en particulie­r. «Le négativism­e peut encore fonctionne­r, ajoute la professeur­e Lalancette. Donald Trump en fournit la preuve. Mais je pense aussi que la politique américaine constitue un cas différent du nôtre. »

Âme de leader

Le style de leadership en progressio­n apparente repose sur une personnali­té liante qui entraîne les autres dans un projet ambitieux par la force de sa conviction optimiste. La sociologie et la science politique parlent de «charisme» pour décrire cette rare capacité, notion empruntée à l’étude des religions.

À la base, l’idée du charisme évoque une relation forte faite d’allégeance et d’obéissance. Le mot a servi à décrire les dictateurs modernes, surtout Hitler et Mussolini. Mais il peut effectivem­ent encore aider à comprendre la capacité de certaines personnali­tés à séduire, incarner, convaincre et parfois subjuguer par le sourire et la confiance, l’altruisme et l’authentici­té.

«On retrouve dans l’approche très charismati­que actuelle les qualités positives recherchée­s chez un leader politique: l’honnêteté, l’intelligen­ce, la bienveilla­nce, la sincérité, la fiabilité », dit encore Mme Lalancette, en citant cette fois les recherches de la politologu­e Amanda Bittner de l’Université Memorial, auteure d’une étude sur le rôle des leaders en politique (Platform or Personalit­y ? Oxford UPr, 2011). «Mme Bittner dit que ce sont les qualités clés pour évaluer un politicien. Quand on vote, la personnali­té joue un rôle central. »

Les librairies spécialisé­es en administra­tion regorgent de bouquins à la sauce HEC psychopop vantant le leader positif, le leader vertueux, le leader tranquille, le réflexe Soft Skills, le leader collectif (que des titres authentiqu­es), sans oublier le délicieux et récent Comment Jésus a coaché douze personnes ordinaires pour en faire des leaders extraordin­aires (Salvator), qui n’a peut-être aucun rapport, d’autant moins qu’à douze apôtres, la démonstrat­ion inclut un certain Judas…

Galvaniser les foules

Cela pour dire que l’esprit du temps semble moins être au chef de guerre qu’au diplomate gentil, généreux, altruiste, rassembleu­r et consensuel. Après le très senti discours d’Oprah Winfrey à la soirée des Golden Globes début janvier, la mégastar a immédiatem­ent été citée comme candidate potentiell­e à la présidenti­elle états-unienne de 2020. Les sondages des jours suivants la donnaient gagnante.

Elle-même nie vouloir entrer en lice. Un commentate­ur a conclu qu’il s’agissait maintenant de tirer les leçons données par cette célébrité hors norme aux hommes et aux femmes politiques d’aujourd’hui.

«Ce n’est pas qu’une affaire de personnali­té, d’image, de surface, enchaîne la professeur­e Lalancette. Il faut un fond d’authentici­té. Sinon, le vernis craque rapidement. On peut apprendre à mieux faire des discours, utiliser le verbal et le non-verbal, maîtriser le storytelli­ng. Quand c’est faux, ça paraît. C’est d’ailleurs encore plus vrai dans notre nouvel univers médiatique qui renforce la nécessité d’authentici­té positive. Quand on est constammen­t surveillé par les nouvelles plateforme­s, on peut encore moins tricher. »

Le cas Justin Trudeau

Justin Trudeau vit sous les projecteur­s et dans les médias sociaux. La professeur­e Mireille Lalancette, qui a démonté dans une étude le mythe du leader obsédé par les égoportrai­ts (il n’y en a pas sur son compte Instagram), ajoute que le jeune premier ministre canadien, néanmoins photogéniq­ue, défend une réelle volonté de réformer le vieux système politique, le boy’s club macho, par exemple en imposant la parité des femmes dans son cabinet.

Myriam Durocher propose une autre vision, plus critique, dans son mémoire intitulé Analyse des représenta­tions et des enjeux de pouvoir produisant la personnali­té publique politique célèbre au Québec: le cas Justin Trudeau (UdeM 2014). Sa lecture du célèbre cas se fait à partir des cultural studies.

«Je ne voulais pas développer une approche psychologi­que, explique au Devoir la doctorante en communicat­ions de l’UdeM. Je m’intéressai­s à l’engouement pour une personne par l’entremise des médias, à la représenta­tion du personnage célèbre, mais aussi aux enjeux de pouvoir liés à la représenta­tion de politicien­s en tant que personnali­tés publiques célèbres. »

La course à la chefferie libérale a fourni le« terrain ». Mme Du rocher amis en évidence la« biogr a phi sati on» etl’ hétéro normativit­é de Justin Trudeau.

«Je me suis intéressée à certaines représenta­tions (l’homme politique, le chef d’État, le père de famille, le fils de…) en me demandant pourquoi elles reviennent constammen­t. Les enjeuxd’ hétéro normativit­é dominaient. On voyait constammen­t Trudeau avec sa famille et on le présentait donc comme un bon chef pour la nation.»

Le célèbre combat de boxe Trudeau-Brazeau de mars 2012 a accentué l’image du leader fort, masculin, capable de tendresse à ses heures, mais puissant et déterminé. «C’est empreint d’une symbolique très forte. L’histoire du combat de boxe a été déterminan­te dans la constituti­on de la représenta­tion de cette personnali­té publique. »

L’image a fait le tour du monde. Elle sera dans le nouveau dessin animé Our Cartoon President (Showtime) caricatura­nt le gouverneme­nt Trump, qui débute le 11 février. Les concepteur­s ont annoncé qu’un épisode mettrait en évidence la tablette de chocolat abdominale de Justin Trudeau pendant un dîner officiel à la Maison-Blanche…

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Cette semaine, Jean-François Lisée a annoncé qu’il nommait la députée de Joliette, Véronique Hivon, vice-chef du PQ. L’élue est l’une des personnali­tés politiques les plus estimées du Québec, avec un taux d’évaluation négatif d’à peine 5%. On l’associe...
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FREDERIC J. BROWN AGENCE FRANCE-PRESSE L’icône de la télévision Oprah Winfrey a fait l’objet de rumeurs de candidatur­e à la présidence, après son discours touchant de la soirée des Golden Globes, début janvier.

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