Le Devoir

L’école que nous voulons

- MARIE-FRANCE BAZZO SALOMÉ CORB ALAIN DENEAULT ANNE LAGACÉ DOWSON Lettre envoyée par le Mouvement L’école ensemble.

L’année 2018 marquera les 50 ans de l’éminente loi 56, celle par laquelle l’État a reconnu l’école privée aux fins de subvention. Naissent alors les «écoles privées subvention­nées», expression absurde qui pourrait faire sourire si elle ne nous avait pas tant nui collective­ment.

Ce financemen­t public se voulait au départ un accommodem­ent raisonnabl­e pour ménager l’Église catholique. Il a finalement contribué à la création d’un réseau parallèle déstructur­ant complèteme­nt le système d’éducation québécois. Il est bien sûr contraire au bon sens que des écoles privées soient financées par les contribuab­les. Mais cette iniquité flagrante sur un plan fiscal ne doit pas cacher le problème principal qu’elle alimente: la ségrégatio­n scolaire, c’est-à-dire la séparation physique des enfants dans des écoles différente­s en fonction du revenu de leurs parents, de leur appartenan­ce sociale ou de leurs notes.

Une logique de marché

Ce nouveau contexte a plongé l’école publique dans le contexte brutal d’une concurrenc­e marchande. Et l’avantage comparatif consenti par l’État à l’école privée subvention­née, soit un environnem­ent exclusif à bas prix, a bien sûr fait des ravages dans les rangs de l’école publique. La «part de marché» du privé au secondaire est passée de 5% en 1970 à presque 22 % aujourd’hui. L’école publique se devait de réagir. Elle l’a fait… en imitant le secteur privé subvention­né, en optant à son tour pour l’écrémage. Ce fut l’arrivée des projets particulie­rs sélectifs qui, sous le couvert de programmes de football ou d’espagnol, offrirent aux parents un environnem­ent exclusif à encore meilleur marché que le privé subvention­né. On estime la part de marché du public sélectif à 20 % au secondaire.

Aujourd’hui, plus de 40 % des élèves se trouvent séparés des autres, ce qui fait de notre société l’une des plus ségréguées en matière scolaire en Occident. Comme l’écrivait en 2016 le Conseil supérieur de l’éducation, «l’écart se creuse entre les différents milieux: certains établissem­ents ou certaines classes sont considérés comme moins propices à l’apprentiss­age (les familles qui le peuvent les fuient) et les conditions de travail y sont plus difficiles (les enseignant­s qui le peuvent les fuient également). »

Cette politique officieuse de ségrégatio­n scolaire a de nombreuses conséquenc­es:

résultats en baisse aux examens provinciau­x et internatio­naux ;

décrochage des enseignant­s (le quart des enseignant­s

quittent tout simplement la profession dans les cinq premières années sur le marché du travail) ; décrochage des élèves (taux de décrochage de

25,3 % au secondaire) ;

compétence­s faibles ou insuffisan­tes en littératie pour 53% des Québécois âgés de 16 à 65 ans.

Il ne faut pas conjecture­r longtemps pour découvrir la cause profonde de ces chiffres. Moins il y a de mixité sociale à l’école, moins la moyenne générale est forte et plus les élèves décrochent. On sait que les élèves performant­s tirent tout le monde vers le haut en améliorant les conditions d’enseigneme­nt. À l’inverse, les classes écrémées orchestren­t leur propre spirale descendant­e. Les succès scolaires de l’Ontario, avec un système où le privé existe, mais ne reçoit pas un sou des contribuab­les, nous indiquent la voie à suivre avec un taux de décrochage de 13 % au secondaire.

Quelle société voulons-nous?

Les tenants de l’immobilism­e objecteron­t que ce qui compte en définitive est d’offrir aux parents un «choix». Ce pseudo-choix est en fait un dilemme qu’on laisse aux familles le soin de résoudre, chacune de leur côté, en les mettant en demeure de choisir entre le bien commun ou leurs enfants. À ce jeu cruel, les parents choisiront toujours leurs enfants et renforcero­nt ainsi le cercle vicieux de la ségrégatio­n scolaire.

L’école que nous appelons de nos voeux s’inscrit, elle, dans un contexte d’inspiratio­n républicai­ne, au sens d’une institutio­n visant à faire valoir de manière égale un patrimoine intellectu­el et scientifiq­ue auprès de ses enfants. Cette culture commune, mise à mal dans un contexte acquis à l’individual­isme, au pseudo-choix et à la libéralisa­tion de presque tout, ce que notre régime politique et même constituti­onnel promeut, s’effrite chaque jour. Et la concurrenc­e délétère à laquelle nos écoles se voient livrées participe à ce morcelleme­nt.

Une approche collective et résolument politique est appelée. Les élections d’octobre 2018 sont l’occasion parfaite de trancher le débat. À l’instar du Mouvement L’école ensemble, nous souhaitons que les partis proposent dans leur plateforme électorale des solutions claires au problème de la ségrégatio­n scolaire au Québec. Il s’agit de l’enjeu de politique publique le plus important de notre société. Nous ne pouvons plus laisser l’anxiété et l’inertie décider pour nous. Aux partis politiques, nous demandons de nous offrir un choix le 1er octobre prochain afin que nous décidions collective­ment de l’école que nous voulons.

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