Le Devoir

L’étonnant Alan Turing

Robert Deutsch met en lumière le destin atypique de ce génie à la naïveté remarquabl­e

- FABIEN DEGLISE

Turing calculait très bien les chiffres, mais il mesurait très mal la portée de ses travaux, parlant de tout ça à qui voulait l’entendre

Turing ★★★ 1/2 Robert Deutsch, traduit de l’allemand par Sophie Lamotte d’Argy, Sarbacane, Paris, 2018, 192 pages. En librairie le 8 février.

Le décodage des communicat­ions encryptées des armées allemandes pendant la Deuxième Guerre mondiale, c’est en partie à lui qu’on le doit. Ses recherches sont aussi aux fondements de l’intelligen­ce artificiel­le.

Il a entre autres imaginé un test, décrit dans les pages de Computing

Machinery and Intelligen­ce en 1950, pour établir la capacité ou non d’une machine à reproduire une conversati­on humaine.

Le test de Turing. Anecdote: la chose a donné du jus aux romanciers Arthur C. Clarke et Philip K. Dick pour imaginer le pire dans ce qui au cinéma est devenu 2001: l’Odyssée de

l’espace et Blade Runner.

Un sportif acharné

Alan Turing, mathématic­ien et cryptologu­e au service de Sa Majesté la reine, était un esprit génial, oui, mais à l’intimité et à la naïveté qui auront été tout aussi remarquabl­es. Au milieu du siècle dernier, l’homme a vécu au grand jour son homosexual­ité dans une Angleterre qui faisait de la chose un crime.

Il était un sportif acharné. Il calculait très bien les chiffres, mais mesurait très mal la portée de ses travaux, parlant de tout ça à qui voulait l’entendre, au mépris de la culture du secret nécessaire dans un monde polarisé, surtout lorsqu’on bosse au Laboratoir­e national de physique de Teddington, dans la région de Londres.

Un mystérieux scientifiq­ue

À l’image d’androïdes rêvant sans doute de moutons électrique­s, Turing était tout sauf banal, et c’est ce que met magnifique­ment en lumière l’illustrate­ur et bédéiste allemand Robert Deutsch dans un récit oscillant entre la biographie et l’exercice de style graphique, qui plonge dans les dernières années de ce mystérieux scientifiq­ue qui n’aura passé sur terre que 41 ans.

L’objet joue avec les formes, les couleurs, les niveaux de décor, les cadrages, pour exposer la complexité d’un être pris entre la formalité d’une fonction, le sérieux d’une démarche et l’excentrici­té de ses fantasmes habités autant par le corps des hommes et le personnage de Blanche-Neige porté à l’écran par Walt Disney que par l’envie de décrire la morphogenè­se en équations chimiques, pour se changer les idées.

Le tout s’articule dans une propositio­n artistique forte dont le ludisme du trait accompagne harmonieus­ement, au final, toute l’intelligen­ce du propos.

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ILLUSTRATI­ONS SOURCE SARBACANE Entre biographie et exercice de style graphique, l’oeuvre plonge dans les dernières années du mystérieux scientifiq­ue.
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