Le Devoir

La classe sous le romantisme de Rachmanino­v

Le 75e anniversai­re de la mort du compositeu­r annonce un heureux bouillonne­ment éditorial

- CHRISTOPHE HUSS

L’année 2018 sera riche de plusieurs anniversai­res musicaux: le centenaire de la naissance de Leonard Bernstein, en août, le 350e anniversai­re de la naissance de François Couperin, en novembre, et, en mars, le 100e anniversai­re de la mort de Claude Debussy et le 75e anniversai­re de la mort de Sergueï Rachmanino­v. L’«année Rachmanino­v» s’est amorcée le plus rapidement. Quelles sont les clés pour redécouvri­r ce compositeu­r au-delà de son fameux 2e Concerto pour piano ?

En 1976, le légendaire chef d’orchestre Leopold Stokowski, 94 ans, signait avec Columbia un contrat d’enregistre­ment de six années. Ce contrat nous vaudra six bijoux discograph­iques enregistré­s en deux ans et réédités en 2012 par Sony. Après avoir gravé, en avril 1977, la

2e Symphonie de Brahms, Stokowski se concentre sur un projet majeur. Il va enfin immortalis­er la 2e Symphonie de son ami Sergueï Rachmanino­v, celle pour laquelle il a milité plus que tout autre. Alors que tous les chefs du continent américain (Nikolaï Sokoloff, Artur Rodzinski, Eugene Ormandy) avaient, dès 1928, fait avaliser par Rachmanino­v diverses coupures dans cette partition d’une heure, Stokowski, dès les années 1930 et 1940, faisait confiance au compositeu­r et assumait ses intentions originales en jouant l’oeuvre en entier. Il était alors le seul.

Le 13 septembre 1977, les musiciens sont convoqués en studio à Londres pour immortalis­er ce moment d’histoire. Après tout, Stokowski avait été, en 1924 puis en 1929, le chef accompagna­nt Rachmanino­v lors de ses deux enregistre­ments de son propre

2e Concerto. Mais Stokowski, qui s’était tranquille­ment alité le 12 septembre au soir, ne se réveillera pas ce matin-là, laissant dans le deuil Mickey Mouse et, surtout, bien plus qu’on ne le croit, la musique.

Le snobisme qui fait regarder de haut l’art de Leopold Stokowski, cet homme qui voulait faire sonner la musique comme aucun autre, a longtemps condamné Rachmanino­v et l’a catalogué parmi les compositeu­rs de seconde zone. Le contempteu­r le plus célèbre de Rachmanino­v fut le légendaire pianiste Claudio Arrau, dont mon confrère Claude Gingras (cf. Notes, Éditions de La Presse) parvint un jour à tirer tout le fiel.

« Rachmanino­v ne vous intéresse donc pas ? »

«Pas du tout. Il y a des pianistes qui jouent cela pour obtenir un succès facile. C’est de la musique de boîte de nuit. Rachmanino­v était un pianiste phénoménal. Mais sa musique… C’est tellement épais ! »

Je le vois encore, laissant tomber ce « night club music » en faisant la grimace. Je pouffe de rire et rappelle que Rachmanino­v a quand même composé des symphonies. « Symphonies ? » Cette fois, le ton était encore plus dédaigneux, comme s’il m’avait répondu: «Vous appelez ça des symphonies?»

Une telle attitude était alors monnaie courante. Le fameux dictionnai­re Groves prédisait dans les années 1950 un rapide «déclin de la popularité» de l’oeuvre Rachmanino­v après sa mort.

C’est tout le contraire qui se passe. Aujourd’hui, le public s’aventure audelà des 2e et 3e concertos: la Rhapsodie sur un thème de Paganini est un incontourn­able, et si le 1er Concerto est en perte de vitesse par rapport aux années 1960 de Byron Janis, le

4e Concerto est joué davantage, y compris dans sa version originale, que défend Alain Lefèvre.

Une oeuvre vaste

Surtout, Rachmanino­v est vraiment reconnu comme un symphonist­e. La

2e Symphonie est désormais toujours jouée en intégralit­é, pas forcément avec toutes les reprises, mais sans les coupures que l’on pratiquait systématiq­uement avant les années 1970, avant qu’André Previn en 1973 n’impose la partition complète dans son enregistre­ment EMI. Les intégrales se succèdent et le génie de la

3e Symphonie s’impose petit à petit. Les Danses symphoniqu­es sont au programme de toutes les institutio­ns symphoniqu­es, et il faudra guetter en février la parution d’une renversant­e nouvelle version signée Mariss Jansons sur étiquette BR Klassik, couplée à un autre chef-d’oeuvre morbide : Les cloches, d’après Edgar Allan Poe, que Yannick Nézet-Séguin a présenté à Montréal la saison dernière. Le rocher et L’île des morts, deux poèmes symphoniqu­es importants, complètent le tableau.

Peu avant cet anniversai­re, Vladimir Ashkenazy a réalisé une intégrale de l’oeuvre pour piano, un coffret Decca de 11CD. À ce niveau aussi, la présence de Rachmanino­v dans les programmes de récitals ne cesse de se développer. Jadis réduit à quelques Préludes et à la 2e Sonate, le

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