Le Devoir

Filmer des amours impossible­s

Nicolas Boukhrief raconte la spirituali­té d’hier sous le prisme d’aujourd’hui avec La confession

- ODILE TREMBLAY LE DEVOIR À PARIS Odile Tremblay était l’invitée des Rendez-vous d’Unifrance.

La spirituali­té a changé. Elle est devenue souvent sans dogme, avec la méditation, dans une quête de transcenda­nce. Cette aspiration à autre chose, cette énergie, en a poussé certains à partir combattre en Syrie à 20 ans. NICOLAS BOUKHRIEF

La confession, avec Romain Duris et Marine Vacth, renvoie bien des cinéphiles à un classique de Jean-Pierre Melville,

Léon Morin, prêtre, qui donnait en 1961 la vedette à Jean-Paul Belmondo et Emmanuelle Riva. Mais quand on lui parle de ce film comme inspirateu­r du sien, Nicolas Boukhrief secoue la tête: «Non, je n’ai pas fait un remake, plutôt une nouvelle adaptation du roman de Béatrix Beck, qui reçut le prix Goncourt en 1952, un livre aujourd’hui oublié.»

Celui-ci évoque une tranche de vie de l’auteure durant la dernière guerre mondiale, à travers la passion platonique d’un jeune prêtre et d’une militante communiste athée dans un petit village français.

Rencontré à Paris, le cinéaste dit avoir été fasciné par le sujet depuis sa découverte du roman, tout jeune. Il chercha durant 20 ans à le mettre en scène, sans récolter d’intérêt auprès des producteur­s, puis une porte s’est ouverte. Du coup, il a acheté les droits à la petite-fille de l’écrivaine.

«Je voulais parler de spirituali­té, précise-t-il. Et puis, il y a dans ce récit tous les paramètres du grand mélodrame: ces deux êtres que tout sépare, un amour impossible… Vous prenez Titanic, La route de Madison, combien de films parlent de ça. Mais les plus grandes histoires d’amour ne sont pas consommées et, ce faisant, elles ne s’oublient jamais. Le fantasme dépassera toujours la réalité. » Son précédent long métrage, Made

in France, sur des attentats terroriste­s à Paris, avait causé l’émoi, privé de sortie sur les grands écrans après les attentats du 13 novembre 2015 pour cause de traumatism­e national (quoique tourné en amont), mais visible en DVD puis dans les salles québécoise­s en avril 2016.

Nicolas Boukhrief s’est transporté ailleurs, mais rappelle que les personnage­s de tous ses films demeurent en quête de quelque chose qui les dépasse, pour le meilleur ou pour le pire.

Le bruit des bottes

De la plume à l’écran, des aspects changent et se transposen­t. «Dans le roman, l’héroïne Barney est veuve, dit Nicolas Boukhrief. J’en ai fait une femme dont le mari est prisonnier en Allemagne, afin que leur duo soit sur un pied d’égalité: lui entravé par ses voeux, elle, par sa loyauté envers son mari.» C’est une forme de huis clos, ce village déserté par les hommes en guerre. Un nouveau prêtre séduisant

arrive, mais les femmes sont sexuelleme­nt moins pressantes dans leurs avances envers lui que dans le film de Melville et le roman de Béatrix Beck.

Faire un film d’époque à très petit budget lui a appris à sacrifier des rêves somme toute inutiles. Il avait imaginé un décor estival dans le sud de la France, mais les besoins de la production et le temps d’action de la fin de la guerre l’ont entraîné dans les Ardennes, plus au nord.

«J’ai interrogé des membres de ma famille qui vient de l’Aveyron. Les anciens parlent peu de cette période, il faut les interroger. Ce qui leur faisait le plus peur, m’ont-ils confié, c’était le bruit des avions et celui des bottes allemandes. Je n’avais pas besoin de montrer les avions. Le travail sur le son suffisait. Quant aux scènes de combat, elles auraient semblé clichés aussi.»

Il a concentré l’action pendant les deux derniers mois de la guerre plutôt que sur une période de six ans comme le veut l’histoire originale, histoire de nourrir la tension, se débarrassa­nt de la voix hors champ de l’auteure au profit des flash-back.

Le cinéaste voulait à tout prix Romain Duris pour le rôle, sans chercher à lui faire reproduire le jeu de Belmondo sous la direction de Melville. Il a mis plus de temps à trouver son actrice. «Romain est à la fois viril et féminin. Marine possède un côté yang. Au départ, je la trouvais trop jeune pour le rôle, mais sa maturité m’a impression­né et leur couple m’est apparu crédible, moderne. Souvent, dans une petite pièce, avec leurs longs dialogues, je les ai laissés libres de leurs déplacemen­ts avec l’impression d’assister à des chorégraph­ies, comme celles de Ginger Rogers et de Fred Astaire. »

Nicolas Boukhrief se dit heureux d’avoir abordé un thème parfois occulté, mais en renaissanc­e. «La spirituali­té a changé, estime-t-il. Elle est devenue souvent sans dogme, avec la méditation, dans une quête de transcenda­nce. Cette aspiration à autre chose, cette énergie, en a poussé certains à partir combattre en Syrie à 20 ans. Il faut dire que la France avait abandonné les banlieues sous Mitterrand. Mon père est Algérien. Au cours des années 1980, personne ne parlait de l’islam ici, puis la religion est devenue un outil de ralliement. On ne peut créer une jeunesse sans espoir…»

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