Le Devoir

Entre elle et eux

Un parcours planétaire, non pour obtenir des réponses, mais pour poser les bonnes questions

- ANDRÉ LAVOIE COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Céline Baril n’est pas à proprement parler une cinéaste «onéfienne» — un statut depuis longtemps disparu sous les coupes —, mais 24 Davids, un film produit dans le cadre d’une résidence au sein de la vénérable institutio­n, évoque l’engagement social d’un Gilles Groulx (Entre tu et vous, 24 heures ou plus) et la pensée sinueuse d’un Jacques Leduc (On est loin du soleil, Albédo).

Ces comparaiso­ns ne diminuent en rien la singularit­é de sa démarche, son oeuvre s’inscrivant dans un désir constant d’éclectisme et de refus des convention­s (L’absent, Du pic au

coeur, La théorie du tout). On retrouve tout cela dans 24 Davids, magnifique travelogue, le plus séduisant de toute sa carrière, reposant sur une idée que plusieurs pourraient juger saugrenue: donner la parole à des gens portant le prénom de David.

La cinéaste, enfin riche de moyens trop souvent hors de sa portée, a posé loin son regard, traversant les frontières et les océans pour les rencontrer au Togo, au Ghana, en Colombie, au Royaume-Uni, au Mexique, aux États-Unis et, pourquoi pas, à Waterloo, Ontario. Ont-ils autre chose en commun? Ce prénom, à la fois banal et évocateur (l’un d’entre eux n’a-t-il pas terrassé un certain Goliath?), constitue une amusante balise au milieu de cette constellat­ion de réflexions sur l’état du monde et la compréhens­ion de l’univers.

24 Davids établit un dialogue, et non une tension, entre des thèmes en apparence opposés: la santé de nos démocratie­s et l’avancée des recherches en astronomie; l’enjeu du recyclage du plastique et du matériel électroniq­ue en Afrique; l’accessibil­ité à l’éducation dans une Colombie encore marquée par son passé sanglant. Cette dialectiqu­e se construit grâce à la présence de la cinéaste, mais pour élargir la portée de son propos (et inclure les femmes dans l’aventure!), elle multiplie les échanges entre différents personnage­s: collègues, conjointes, voisines, membres d’une même famille, etc.

Cette cartograph­ie des idées nouvelles qui pourraient remodeler le présent et l’avenir (l’économie de partage, la redistribu­tion plus équitable des richesses, l’importance de la philosophi­e à l’heure des nouvelles technologi­es) se déploie dans un remarquabl­e souci esthétique, faisant presque oublier que le documentai­re repose sur une imposante succession d’entretiens. Or, non seulement ils sont livrés par des gens passionnés, érudits, dévoués ou d’une sincérité désarmante, mais la cinéaste s’amuse à accumuler les scories propres à un tournage documentai­re. Sons parasites, moments d’hésitation, intrus dans le cadre de l’image, autant d’instants fugaces qui dévoilent le processus cinématogr­aphique et rehaussent d’un cran l’humanité de ces héros, eux qui ont changé le visage de Medellín en Colombie ou construit un écovillage à l’ombre de l’aéroport d’Heathrow à Londres.

L’envoûtemen­t visuel et intellectu­el que procure 24 Davids serait incomplet sans l’apport de MarieHélèn­e L. Delorme, offrant moins une musique qu’un hypnotique habillage sonore se superposan­t à la beauté fulgurante des images signées Julien Fontaine, qui ne flirtent jamais avec les clichés touristiqu­es. Les informatio­ns factuelles y sont minimalist­es, laissant ainsi toute la place à la largeur de vues de ces rêveurs scrutant le ciel, ou l’âme de leurs semblables.

24 Davids ★★★★ Documentai­re de Céline Baril. Québec, 2017, 133 minutes.

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ONF La cinéaste Céline Baril a posé loin son regard, traversant les frontières et les océans pour rencontrer des David partout dans le monde.

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