Le Devoir

Maria, jeune mère courage

L’innocence perdue d’une enfant soldate plongée au coeur d’une mission impossible

- ANDRÉ LAVOIE COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

À en juger par l’incompréhe­nsion devant le destin d’Omar Khadr, ce n’est pas demain la veille que l’opinion publique saisira tous les enjeux concernant les enfants soldats, car ils sont complexes. Cette réalité est abordée avec la même ambiguïté par le cinéaste colombien Jose Luis Rugeles dans Alias Maria, une plongée dans la jungle politique de son pays, et surtout celle des Forces armées révolution­naires de la Colombie, les FARC, bien connus d’Ingrid Betancourt…

Il y a sans aucun doute chez Rugeles une pointe d’ironie dans le fait de nommer Maria une jeune fille de 13 ans, guérillera enceinte depuis quelques mois et forcée d’assurer la survie d’un bébé naissant qui n’est pas le sien en l’amenant loin des zones de combat, telle une fuite vers l’Égypte. Car même si le commando auquel appartient Maria refuse aux femmes le droit d’être enceintes, une exception est faite pour la progénitur­e des hauts dirigeants. Les moins chanceuses, liées à des subalterne­s, comme elle avec Mauricio (Carlos Clavijo), subissent un avortement, à moins bien sûr de cacher leur grossesse, et surtout d’avoir un peu de chance.

C’est le cas pour cette héroïne au visage opaque, taciturne la plupart du temps, et dont il est difficile de comprendre les raisons de sa présence au sein de cette organisati­on jamais nommée de façon explicite, mais qui ne carbure pas au dialogue et à la démocratie. Recrutée par la force ou savamment embrigadée? Le scénariste Diego Vivanco, dont le récit est basé sur une foule de témoignage­s d’ex-guérillero­s, refuse d’illustrer, et d’évoquer, le passé de celle dont on devine qu’elle n’est pas au milieu de la jungle par le plus curieux des hasards.

Par contre, son épopée dans cette nature oppressant­e est décrite dans les moindres détails, et avec des accents réalistes qui se passent de commentair­es sur le caractère impitoyabl­e de ces révolution­naires devant la fragilité des plus démunis, qu’ils soient femmes, filles ou garçons. Quand l’ennemi (militaire ou paramilita­ire, voire américain dans une scène de café en apparence anodine) n’est pas tapi dans l’ombre, c’est la nature qui se charge de ralentir la course de ces infortunés voyageurs en mission commandée. Et malgré leurs habits de combat, Maria et son tout jeune compagnon d’infortune Yuldor (Erik Ruiz) ressemblen­t davantage à des bêtes de somme, soumis qu’ils sont à de longues heures de garde pendant la nuit ou vulnérable­s sous le feu nourri de l’adversaire. Surtout quand les pleurs d’un bébé peuvent être fatals pour lui et ses protecteur­s.

Alias Maria aborde une foule de sujets délicats (et la domination sexuelle comme arme de combat n’est pas le moindre), mais Jose Luis Rugeles a choisi la subtile évocation plutôt que les effets racoleurs. Cette pudeur, dictée en partie par la présence de jeunes acteurs non profession­nels ainsi que d’un poupon en chair et en os soumis à cet incessant ballottage, fait rarement de cette course à obstacles un parcours haletant et frénétique. Maria demeure le plus souvent enfermée dans son mutisme, mais son épopée bénéficie de l’éloquence d’un cinéaste porté par une indignatio­n jamais tapageuse.

Alias Maria ★★★ 1/2 Drame de Jose Luis Rugeles. Avec Karen Torres, Carlos Clavijo, Erik Ruiz, Anderson Gomez. Colombie, 2015, 93 minutes.

 ?? K-FILMS AMÉRIQUE ?? Il est difficile de comprendre les raisons de la présence de cette héroïne au visage opaque au sein de cette organisati­on jamais nommée de façon explicite.
K-FILMS AMÉRIQUE Il est difficile de comprendre les raisons de la présence de cette héroïne au visage opaque au sein de cette organisati­on jamais nommée de façon explicite.

Newspapers in French

Newspapers from Canada