Maria, jeune mère courage
L’innocence perdue d’une enfant soldate plongée au coeur d’une mission impossible
À en juger par l’incompréhension devant le destin d’Omar Khadr, ce n’est pas demain la veille que l’opinion publique saisira tous les enjeux concernant les enfants soldats, car ils sont complexes. Cette réalité est abordée avec la même ambiguïté par le cinéaste colombien Jose Luis Rugeles dans Alias Maria, une plongée dans la jungle politique de son pays, et surtout celle des Forces armées révolutionnaires de la Colombie, les FARC, bien connus d’Ingrid Betancourt…
Il y a sans aucun doute chez Rugeles une pointe d’ironie dans le fait de nommer Maria une jeune fille de 13 ans, guérillera enceinte depuis quelques mois et forcée d’assurer la survie d’un bébé naissant qui n’est pas le sien en l’amenant loin des zones de combat, telle une fuite vers l’Égypte. Car même si le commando auquel appartient Maria refuse aux femmes le droit d’être enceintes, une exception est faite pour la progéniture des hauts dirigeants. Les moins chanceuses, liées à des subalternes, comme elle avec Mauricio (Carlos Clavijo), subissent un avortement, à moins bien sûr de cacher leur grossesse, et surtout d’avoir un peu de chance.
C’est le cas pour cette héroïne au visage opaque, taciturne la plupart du temps, et dont il est difficile de comprendre les raisons de sa présence au sein de cette organisation jamais nommée de façon explicite, mais qui ne carbure pas au dialogue et à la démocratie. Recrutée par la force ou savamment embrigadée? Le scénariste Diego Vivanco, dont le récit est basé sur une foule de témoignages d’ex-guérilleros, refuse d’illustrer, et d’évoquer, le passé de celle dont on devine qu’elle n’est pas au milieu de la jungle par le plus curieux des hasards.
Par contre, son épopée dans cette nature oppressante est décrite dans les moindres détails, et avec des accents réalistes qui se passent de commentaires sur le caractère impitoyable de ces révolutionnaires devant la fragilité des plus démunis, qu’ils soient femmes, filles ou garçons. Quand l’ennemi (militaire ou paramilitaire, voire américain dans une scène de café en apparence anodine) n’est pas tapi dans l’ombre, c’est la nature qui se charge de ralentir la course de ces infortunés voyageurs en mission commandée. Et malgré leurs habits de combat, Maria et son tout jeune compagnon d’infortune Yuldor (Erik Ruiz) ressemblent davantage à des bêtes de somme, soumis qu’ils sont à de longues heures de garde pendant la nuit ou vulnérables sous le feu nourri de l’adversaire. Surtout quand les pleurs d’un bébé peuvent être fatals pour lui et ses protecteurs.
Alias Maria aborde une foule de sujets délicats (et la domination sexuelle comme arme de combat n’est pas le moindre), mais Jose Luis Rugeles a choisi la subtile évocation plutôt que les effets racoleurs. Cette pudeur, dictée en partie par la présence de jeunes acteurs non professionnels ainsi que d’un poupon en chair et en os soumis à cet incessant ballottage, fait rarement de cette course à obstacles un parcours haletant et frénétique. Maria demeure le plus souvent enfermée dans son mutisme, mais son épopée bénéficie de l’éloquence d’un cinéaste porté par une indignation jamais tapageuse.
Alias Maria ★★★ 1/2 Drame de Jose Luis Rugeles. Avec Karen Torres, Carlos Clavijo, Erik Ruiz, Anderson Gomez. Colombie, 2015, 93 minutes.