Le Devoir

Une femme seule

Hors de nulle part aborde les thèmes du deuil et de la vengeance sur fond de néonazisme européen

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Katja a tout perdu. Son enfant, son mari: emportés dans l’explosion d’une bombe artisanale. De cette tragédie naît une peine immense. Dans le coeur de Katja: une colère prête à sourdre, puis à exploser. Face à l’injustice, elle entend se venger. Entre drame et suspense, Hors de nulle part offre son meilleur rôle en carrière à l’actrice Diane Kruger, lauréate du Prix d’interpréta­tion féminine à Cannes pour sa compositio­n à vif. Écrit et réalisé par Fatih Akin (De

l’autre côté), Hors de nulle part (présenté dans le circuit festivalie­r sous le titre In the Fade) est raconté du point de vue de Katja, qui connut autrefois Nuri en lui achetant de la drogue. Pendant l’incarcérat­ion de ce dernier, ils se marièrent. De leur union naquit le petit Rocco.

À présent rangé, le couple mène une existence heureuse à Hambourg, Nuri ayant troqué le trafic pour la vie de bureau. Un jour, Katja y dépose Rocco… Une bombe artisanale. Deux vies fauchées à dessein. Enjeux préoccupan­ts D’origine kurde, Nuri était de fait sciemment visé par l’attaque ourdie par un jeune couple acoquiné à un réseau néonazi, comme on l’apprendra ultérieure­ment.

À cet égard, le film d’Akin est construit en trois actes distincts. Le premier s’attarde à la douleur de Katja, à son désarroi, mais aussi à l’enquête pour trouver les responsabl­es et connaître les motifs de l’attaque — du terrorisme intérieur. Diane Kruger, seule, isolée surtout lorsqu’elle est entourée, est poignante dans cette partie. Sans fard, les yeux perpétuell­ement rouges et secs d’avoir trop pleuré, elle accuse le coup, hagarde.

Le deuxième acte est consacré au procès. Dense sur le plan sociologiq­ue, ce volet pose d’importante­s questions. Par exemple, comment espérer rendre justice lorsque les coupables avérés savent exploiter à leur avantage les failles du système ?

Plus préoccupan­t, le film suggère qu’en amont, les groupes d’extrême droite se savent couverts. Un enjeu qu’A.O. Scott résume à la perfection dans le New York Times : «Comment les sociétés libérales devraient-elles traiter avec les extrémiste­s politiques locaux, qui cherchent la protection des mêmes normes démocratiq­ues et institutio­ns qu’ils veulent détruire?» s’interroge-t-il dans sa critique. Frapper l’imaginaire Survient un troisième acte lors duquel Hors de nulle part se meut en un récit de vengeance plutôt classique. On a alors un peu l’impression de se trouver dans un autre film.

Mis en scène avec la précision et l’intelligen­ce qu’on attend du cinéaste (avec notamment une superbe utilisatio­n de la profondeur de champ et de la focalisati­on), les moments qui mènent au dénouement apparaisse­nt convenus.

La séquence finale, toutefois, frappe l’imaginaire. À l’instar de l’expression qu’affiche alors Diane Kruger.

À terme, la réponse proposée par Fatih Akin aux questionne­ments qu’il soulève dans son film ne fera pas consensus.

Elle est en revanche certaine de susciter la discussion, ce qui était peut-être le but.

Hors de nulle part (V.O., s.-t.f. et s.-t.a. de In the Fade)

★★★ 1/2 Drame de Fatih Akin. Avec Diane Kruger, Denis Moschitto, Johannes Krisch, Ulrich Tukur, Samia Chancrin. Allemagne-France, 2017, 106 minutes.

Mis en scène avec la précision et l’intelligen­ce qu’on attend du cinéaste Fatih Akin, les moments qui mènent au dénouement apparaisse­nt convenus. La séquence finale, toutefois, frappe l’imaginaire. À l’instar de l’expression qu’affiche alors Diane Kruger.

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MAGNOLIA PICTURES Hors de nulle part offre son meilleur rôle en carrière à l’actrice Diane Kruger, lauréate du Prix d’interpréta­tion féminine à Cannes.

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