Le Devoir

Philosophe­r en forêt avec Laurent Lussier

Un mal terrible se prépare rend un hommage parodique à la tradition du conte philosophi­que

- DOMINIC TARDIF COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Dès le départ, c’est clair: ce narrateur n’est pas un estivant ordinaire. «Je commençais ce jour-là mes vacances et avais résolu de planter dans une clairière quelconque les quatre piquets de ma tente. De cette manière, je traversais mon mois de loisir: en campant n’importe où, à l’orée des forêts banales et grises qui bordent la route», écrit Laurent Lussier dans Un

mal terrible se prépare, premier roman révélant son ironie avec la subtilité d’un chasseur habile, progressan­t bien camouflé parmi les arbres.

Les quelques semaines de camping improvisé que s’offre notre guide prennent rapidement un tour étrange au moment où il découvre près d’un étang une chauve-souris clouée au sol, recouverte d’une épaisse couche de sébum et de boutons blancs. Dégueulass­e, vous dites ?

Apeuré par cette «vision d’horreur», mais aussi étreint par la compassion, cet homme dont on ne saura presque rien passe un coup de fil au Réseau d’urgence pour la faune, un organisme soignant les animaux malades ou blessés, avant de les relâcher dans la nature. Il devient dès lors un de leurs bénévoles et découvrira en compagnie de l’Unité mobile d’interventi­on faunique plusieurs autres animaux affligés par les mêmes maux. Il faut enquêter.

Avertissem­ent: il est préférable de s’engager dans Un mal terrible se prépare

en suivant les conseils fournis par son narrateur au moment où il s’enfonce dans des sables mouvants, où «plus on se raidit, plus on coule».

De la même manière, quiconque se raidira à la lecture de ce journal des aventures improbable­s de ce personnage débonnaire goûtera difficilem­ent la sagacité de la pensée profondéme­nt digressive de Laurent Lussier et de son double. Exemple? Un passage racontant la réhabilita­tion de petits balbuzards pêcheurs (!) qui «ne doivent strictemen­t jamais remarquer qu’ils ont quitté le nid et que des humains prennent soin d’eux» devient le prétexte étonnant d’une réflexion sur la constructi­on identitair­e et le libre arbitre. Ça ne s’invente pas.

Hommage à la tradition

Avec ses chapitres se concluant tous par une leçon aphoristiq­ue comme « Si la randonnée devient une épreuve, faites-en une excursion» ou «Tolérez les ramollisse­ments de votre autodiscip­line», ce premier roman tient de l’hommage à la tradition du conte philosophi­que, mais aussi beaucoup de la parodie, dans la mesure où Lussier a toujours l’élégance de dédouaner par l’humour le ton docte de ses observatio­ns.

Ces subtils clins d’oeil complices rachètent d’ailleurs en partie les directions beaucoup trop nombreuses dans lesquelles se lance l’auteur, confinant au désordre cet exercice de style d’une grande culture, bien que parfois en quête de son propos.

Faux thriller environnem­ental, roman d’apprentiss­age, portrait d’un homme se laissant porter par les événements ; Un mal terrible se

prépare se dérobe à toutes les descriptio­ns et donne souvent à son lecteur l’impression d’avoir gobé une grosse poignée de champignon­s hallucinog­ènes.

Un remède auquel notre littératur­e gagnerait à plus fréquemmen­t s’en remettre.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Dans ce premier roman, Laurent Lussier révèle une ironie subtile.
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Un mal terrible se prépare ★★★ Laurent Lussier, La Mèche, Montréal, 2018, 240 pages. En librairie le 6 février.

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