Ode à la mère perdue
Jonathan Bécotte raconte une douce mélancolie
Après nous avoir émus avec Souf fler
dans la cassette — roman sur le thème du sentiment amoureux pour lequel il a d’ailleurs remporté, l’automne dernier, le prix Cécile-Gagnon —, Jonathan Bécotte revient un an plus tard avec Maman veut partir, un roman poétique vibrant, à fleur de peau, écrit avec une sensibilité qui lui semble toute naturelle.
Depuis, la cicatrice laissée sur le ventre de sa maman, ce «croissant de lune qu’elle a sous le nombril», jusqu’aux vacances sous la tente, en passant par les journées douces à regarder voler «les robes d’automnes» sur la corde à linge, ces «fées fantômes sans tête ni cheveux», le narrateur raconte en quelques tableaux les moments privilégiés, souvenirs heureux et douloureux, vécus auprès d’elle avant qu’elle décide de partir.
Partir une première fois, sous le coup du divorce, malgré la menace du garçon de «se lancer dans la gueule de la souffleuse un jour de tempête». Puis, une deuxième et ultime fois, ravagée par le cancer qui a raison d’elle. Tout comme «les arbres qui tombent dans les forêts [et] font toujours un grand vacarme», dira le narrateur, cette nouvelle fera de lui un enfant perdu.
Reprenant en exergue les paroles de Roland Barthes, il faudra qu’il «s’habitue à être naturellement dans cette solitude, y agir, y travailler, accompagné, collé par la présence de l’absence ».
C’est dans une grande simplicité, une douce mélancolie et une finesse d’esprit que le jeune auteur de trente ans nous plonge dans son passé familial. Entourée d’une mère enveloppante, une mère qui «a du temps», et d’un père mécanicien, présent, aimant, qui laisse des taches d’huile sur ses chemises, Bécotte nous saisit par l’authenticité de sa poésie.
Si cette vie de famille à trois, et particulièrement cette ode à la mère, est émouvante, c’est beaucoup grâce au pouvoir d’évocation de l’auteur, à sa capacité de recréer des instants du quotidien en s’accrochant à des détails qui pourraient — s’il n’était si humblement et justement mis en scène — sembler anodins. Des croûtes de pain Il y a, par exemple, ces croûtes de pain de la semaine qu’il collectionne, celles que «personne ne veut manger» et qu’il entrepose sur «le petit rebord intérieur de la porte du congélateur / Dans un petit Ziploc ». Bouts de pain qui, une fois dégelés et «ratatinés», seront servis aux canards dans cette mensuelle et traditionnelle visite au parc des Canards. Et puis, que dire de la corvée de la lessive, qui prend ici des airs de vacances: «Ma mère a besoin de moi / Quand elle fait du lavage. On suspend notre arc-en-ciel / Sur la corde à linge. » Regarder sécher les fringues comme s’il s’agissait d’un tableau vivant n’aura jamais paru si apaisant: «Je m’étends sur le gazon. / Et regarde la danse des vêtements / Sur leur fond de ciel. »
Ce sens du détail est par ailleurs ponctué d’analogies qui renforcent l’univers du narrateur, capable de transformer un « driveway double sans Tempo» en Antarctique ou encore une épluchette de blé d’Inde en fête aristocratique. Bécotte secoue par sa délicatesse et le don qu’il a de voir et de partager la beauté partout, jusque dans l’absence et la douleur.