Le Devoir

Au plus noir de l’enfance

- GENEVIÈVE TREMBLAY

La fêlure de Thomas raconte la détresse d’un enfant habité par deux tragédies

La fêlure de Thomas ★★★ Hugues Corriveau, Druide, Montréal, 2018, 216 pages

Il faut peu de temps pour comprendre que La fêlure de Thomas est moins le roman d’une histoire que celui d’un enfant: Thomas. Ce petit garçon de 11 ans, jamais désiré par sa mère, a vu mourir devant lui, sous les roues d’un camion, son frère Will. Ce traumatism­e l’habite encore, on le saura bien vite.

Mais voilà qu’un soir de tempête, le petit Thomas est témoin du meurtre de la fille qu’il aime bien au dépanneur du coin, rue Ontario. Dans la confusion et la douleur, il met la main sur le revolver, tue les deux meurtriers et prend la fuite.

La pointe de l’iceberg

Ce canevas de départ, troublant s’il en est, n’est que la pointe de l’iceberg du cauchemar que subit Thomas — d’abord à la maison, où sa «mère-monstre» reste enfoncée dans son divan et n’a pour lui que des mots blessants, mais aussi dans sa tête, où règne un très grand désordre. La lente enquête de l’« homme patient », nom donné au détective, et le voile levé peu à peu, laborieuse­ment, sur la vie antérieure de Thomas finiront par éclairer l’affaire. Ce que raconte La fêlure de Thomas, c’est ce qu’une enfance martyrisée peut laisser comme traces dans un imaginaire a priori inoffensif. Au fil du récit, les blessures se dévoilent une à une: les quolibets subis à l’école, la violence verbale de la mère et du père désormais absent, la solitude laissée en héritage à Thomas après la mort de Will. Des traumatism­es, bref, qui se nourrissen­t vicieuseme­nt les uns des autres.

Si jamais on ne remet en question la validité de l’intrigue, il en va autrement de l’écriture. Hugues Corriveau, longtemps critique littéraire au Devoir, qui reprend ici le sujet d’une nouvelle parue en 1996, construit ses chapitres avec un contrôle extrême du discours, usant de répétition­s et de figures langagière­s au point où certains passages n’ont étonnammen­t pas de sens. Ce qui apparaît comme un désir de marier poésie et prose crée au bout du compte des enchaîneme­nts confus. À cela s’ajoute une narration à plusieurs degrés, dont les variations ne sont pas toujours justes.

Enfance imaginaire

Cette structure étouffante s’adoucit par moments, notamment quand Thomas se rappelle l’époque où son frère était vivant. «Viens plus loin que le coin de la rue, plus loin que les carrefours du monde, supplie Thomas dans un faux dialogue avec le mort. […] Viens encore me dire des mots pour la compréhens­ion de la vie.» Will est ainsi la principale clef du roman, la lumière dans ce noeud familial dysfonctio­nnel.

Par quels chemins complexes un petit garçon peut-il en venir à commettre deux meurtres? Dans sa succession de pistes enchevêtré­es, La

fêlure de Thomas réussit à exprimer la peur, les chocs et le désarroi qui peuvent mener, avec tant d’autres ombres, aux tragédies irréversib­les.

Mais c’est la puissance de l’amour fraternel, ici fondé sur un imaginaire foisonnant, qui permet surtout d’accéder à la vie intérieure de Thomas — inconnue de sa mère, de l’homme-enquêteur, de tous sauf de Will. Malgré sa confusion, Thomas devient peu à peu lisible. C’est un petit garçon qui ne demande que de la tendresse et de l’espace pour réapprendr­e à vivre.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Le roman d’Hugues Corriveau raconte ce qu’une enfance martyrisée peut laisser comme traces dans un imaginaire a priori inoffensif.
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