Le Devoir

Malade à en mourir

- Fabien Deglise

L’enfer ★★★ Sylvie Drapeau, Leméac, Montréal, 2018, 94 pages

L’émotion se transmet par le détail: l’agitation d’une soeur faisant se succéder, dans l’excès, tous les plats qu’elle a mitonnés pour pallier le malaise d’un souper avec son frère schizophrè­ne, le souvenir d’un enfant perdu dans ses lectures et ses bonshommes à la télé, l’évocation d’un regard sombre ou d’une voix dans une tête, un repas partagé dans un restaurant de bord de route en direction de la Côte-Nord…

Après avoir remonté le fil de son existence pour évoquer la noyade d’un premier frère et la mort d’une mère, Sylvie Drapeau pose la troisième pièce de sa tétralogie familiale avec L’enfer. Le court roman se concentre sur le destin tragique de Richard. C’est le petit dernier de la famille. Il va être couvé par ses aînées de soeurs, jusqu’au bout d’une folie apparue à l’enfance et qui va s’amplifier au début de l’âge adulte.

L’esprit, le ton, la voix rencontrés dans Le fleuve et Le ciel, les oeuvres précédente­s, sont toujours là, tout comme la plume calme et posée, tenant du journal, et qui laisse la douceur des mots baliser les contours d’un environnem­ent familial placé face à l’adversité.

Sylvie Drapeau s’y souvient de ce passé, avec des «tu» et des «nous» qui racontent ses soeurs, qui interpelle­nt Richard, ce frère malade. Elle laisse aussi ses mots l’étreindre, comme pour faire de sa poésie une source de lumière posée sur une trajectoir­e condamnée à finir dans le noir.

Bien sûr, cette incursion dans la dysfonctio­n de sa «Meute» — c’est comme ça qu’elle appelle sa famille — ne pourrait qu’être un récit intime. Du trop personnel, pour titiller le voyeurisme du lecteur, mais dont la comédienne romancière arrive à extraire une nouvelle fois l’humanité qu’il faut, sans grande prétention ni effet de style, pour en faire un tout tragique, oui, mais surtout universel.

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