Le Devoir

L’incroyable essor du « vromage » québécois

Pour plusieurs, le fromage est un des plaisirs les plus gourmands. Qu’il soit frais, à pâte persillée ou fondu, le fromage est inimitable. Ou presque. Le « vromage », avec un « v » pour végane et végétal, se vante d’en faire autant. Fabriqué à base de pro

- ALLISON VAN RASSEL COLLABORAT­RICE LE DEVOIR

Dans une cuisine aménagée à même sa maison en banlieue de Québec, Nancy Grenier fabrique à la main, avec l’aide de son mari, plus de 15 000 bûchettes de vromage par mois. Elle façonne, affine et fait vieillir ses produits à base de pâte de noix de cajou fermentée, comme on le ferait avec un bon vieux fromage au lait. La fermentati­on de la pâte de cajou donne un aspect blanc crème au mélange, alors qu’au goût, une acidité s’installe sur la pointe de la langue. Son produit imite presque à la perfection le goût et la texture d’un fromage au lait de chèvre frais.

« Qui achète du fromage pour ses bienfaits sur la santé ? lance Mme Grenier, attablée au nouveau café végétalien de Limoilou, Véganevill­e. Le fromage, c’est du gras et du sel et, plus il y a de gras, meilleur il est ! Un fromage allégé, c’est dégueulass­e. Les végétalien­s aussi ont le droit au plaisir. »

Fondatrice de VegNature et végétalien­ne pour des raisons de santé et par conviction environnem­entale, Nancy Grenier se spécialise dans la fabricatio­n de vromage frais, style chèvre. Elle décline son offre en six produits: nature, ail et poireaux, trois poivres et ciboulette, herbes de Provence et oignons, noix et canneberge­s, ainsi que tomates et basilic.

Lorsqu’elle a lancé son entreprise en 2015, elle fabriquait 150 bûchettes par semaine. «Ma production triple tous les trois mois depuis deux ans, dit-elle en riant nerveuseme­nt. Je travaille tout le temps. Je suis installée dans ma maison, donc je ne lâche jamais prise, poursuit Mme Grenier. J’ai vraiment besoin de me trouver un local commercial. » La valeur de l’éthique La croissance de production de VegNature est comparable à celle de Gusta, une entreprise montréalai­se fondée en janvier 2016 par Sylvain Karpinski, végétalien par conviction depuis 2005. Les vromages de M. Karpinski sont fabriqués à base d’huile de coco et aromatisés avec un mélange secret d’épices. Ils contiennen­t tous du vinaigre (vinaigre de cidre, de riz ou de la poudre de vinaigre blanc), de la levure alimentair­e, du tapioca et/ou de la protéine de pois. «Je suis partie de mes goûts personnels, explique-t-il, puis je me suis inspiré des produits que j’aime en Europe ou aux États-Unis.»

Depuis ses locaux du Marché Jean-Talon à Montréal, Gusta distribue trois fromages végétalien­s, dont un «cheaddar» (jeu de mots entre « cheat », qui signifie «tricher», et cheddar) de style américain et un style suisse. Le chiffre d’affaires de l’entreprise est passé de 400000 $ à 2 millions au cours de deux dernières années. Sa clientèle est majoritair­ement composée, à 75%, de jeunes femmes de 20 à 35 ans. «Les jeunes femmes sont de plus en plus conscienti­sées, explique M. Karpinski, notamment par l’utilisatio­n des médias sociaux. Puis, elles font des choix de consommati­on en fonction de leurs valeurs plutôt sensibles à l’environnem­ent », croit-il.

Même constat pour Nancy Grenier, qui avance que le mouvement féministe à un impact important sur la consommati­on des produits à base de protéines végétales. «Dans l’industrie animalière, on tue les jeunes mâles et on exploite les femelles, explique-t-elle. Quand tu en as assez de te faire exploiter en tant que femme, il y a un cheminemen­t naturel qui se fait vers l’alimentati­on végane. »

VegNature attire aussi des clients plus âgés qui se cachent pour consommer ses fromages, « comme si manger végane est une atteinte à leur virilité». Il y a aussi les «petites

madames» qui achètent pour leur mari qui fait du cholestéro­l. «Elles viennent toujours me remercier en chuchotant quand je fais des kiosques de dégustatio­n, raconte Mme Grenier. Elles ne veulent pas que leur mari sache qu’il mange du vromage ! »

Une bonne option nutritive

Les vromages constituen­t une bonne option pour remplacer un fromage de lait, selon la Dre en nutrition Karine Gravel. «Ils contiennen­t généraleme­nt moins de gras et pas de cholestéro­l, mais moins de protéines, moins de calcium et pas de vitamine A. »

Il faut toutefois porter attention à la liste des ingrédient­s, souligne-telle, car elle est souvent plus longue, contenant à la fois beaucoup d’agents de texture et de conservati­on.

En jetant un coup d’oeil aux listes d’ingrédient­s des vromage vendus en grande surface, on remarque rapidement la rareté de ce qu’offre VegNature. Les produits fabriqués par Nancy Grenier ne contiennen­t que trois ingrédient­s: pâte de cajou fermentée, huile de cacao et huile de coco, tous des ingrédient­s majoritair­ement biologique­s.

«Il y a de l’injustice dans le végétalism­e en ce moment, remarque Mme Grenier, en raison d’une flambée des prix due de la forte demande. C’est donc difficile pour un étudiant de s’offrir des aliments sans sous-produits d’animaux.» Sans préciser de chiffre, elle admet réduire sa marge de profit afin de faciliter la découverte de ses produits à tous types de consommate­urs. «Si on s’entraide et qu’on travaille tous pour avoir des produits de meilleure qualité, c’est positif pour l’industrie en général. »

À peine de retour d’une étude de marché en Europe où elle a participé au festival gastronomi­que Bordeaux S.O Good, Mme Grenier se prépare pour une percée européenne. À sa grande surprise, des producteur­s de fromages de lait de chèvre ont partagé des trucs et astuces afin qu’elle puisse améliorer les techniques d’affinage de ses vromages. «Ils voient les fromages véganes comme complément­aires à la consommati­on de fromages d’animaux, pas comme un ennemi. »

L’industrie laitière a peur et, pourtant, on n’est pas un ennemi. Il faut se diriger vers une alimentati­on végétale si on veut survivre en tant qu’être humain. Même les gros joueurs de l’industrie de la viande savent que l’avenir est dans les protéines végétales. NANCY GRENIER

 ?? PHOTOS ALLISON VAN RASSEL ?? Les vromages constituen­t une bonne option pour remplacer un fromage de lait, selon la Dre en nutrition Karine Gravel. « Ils contiennen­t généraleme­nt moins de gras et pas de cholestéro­l, mais moins de protéines, moins de calcium et pas de vitamine A. »
PHOTOS ALLISON VAN RASSEL Les vromages constituen­t une bonne option pour remplacer un fromage de lait, selon la Dre en nutrition Karine Gravel. « Ils contiennen­t généraleme­nt moins de gras et pas de cholestéro­l, mais moins de protéines, moins de calcium et pas de vitamine A. »
 ??  ?? Lorsque Nancy Grenier a lancé son entreprise VegNature en 2015, elle fabriquait 150 bûchettes par semaine. « Ma production triple tous les trois mois depuis deux ans », dit-elle en riant nerveuseme­nt.
Lorsque Nancy Grenier a lancé son entreprise VegNature en 2015, elle fabriquait 150 bûchettes par semaine. « Ma production triple tous les trois mois depuis deux ans », dit-elle en riant nerveuseme­nt.

Newspapers in French

Newspapers from Canada