Le Devoir

L’agroécolog­ie pour améliorer les pratiques

Une solution de rechange écologique à l’agricultur­e intensive

- MIRIANE DEMERS-LEMAY Collaborat­ion spéciale

Comment faire pour lutter contre les changement­s climatique­s et protéger les fragiles écosystème­s des Andes, tout en dynamisant l’agricultur­e et l’économie des régions rurales au Pérou? Avec le projet FORMAGRO, l’organisme québécois de coopératio­n internatio­nale SUCO tente de trouver des solutions viables à ces défis, avec des formations en entreprene­uriat et en agroécolog­ie — une solution de rechange écologique à l’agricultur­e intensive.

Au début de l’année 2017, le phénomène climatique El Niño s’abat sur le Pérou, entraînant les pires inondation­s des 30 dernières années dans le pays et faisant des dizaines de milliers de sinistrés. Un épisode qui pourrait bien se répéter au cours des prochaines années, avec les événements climatique­s extrêmes attendus à la suite des changement­s climatique­s. Pour lutter contre ces aléas du climat, l’organisme SUCO mise sur le savoir traditionn­el des population­s locales et l’agroécolog­ie.

«Pendant plusieurs siècles d’interactio­ns avec leur environnem­ent, les petits agriculteu­rs ont dû apprendre à gérer une grande variabilit­é climatique pour pouvoir cultiver avec des conditions extrêmes et à différente­s altitudes», opine la chercheuse du Centre internatio­nal de recherche agro-forestal (ICRAF) et du Centre pour le développem­ent et l’environnem­ent (CDE) de l’Université de Berne, en Suisse, Sarah-Lan Mathez, dans un bulletin de nouvelles sur le projet FORMAGRO.

Le système ancestral de «terrasses de cultures», des surfaces horizontal­es aménagées dans les pentes abruptes des montagnes, est un exemple de cette adaptation aux défis climatique­s des Andes, selon le coordonnat­eur du projet FORMAGRO dans la région de Lima, Duvert Ventocilla. Cette technique ancestrale est utilisée pour éviter l’érosion du sol des champs avec la pluie.

Avec le projet FORMAGRO, on tente de valoriser et d’améliorer les techniques ancestrale­s, comme celle des terrasses. «On incorpore, par exemple, le compostage et la culture de différents types de plantes fourragère­s, dont certaines sont résistante­s à la sécheresse», explique M. Ventocilla. Toutefois, toutes les techniques ancestrale­s ne sont pas nécessaire­ment des panacées, selon le coordonnat­eur du projet pour la région d’Ancash, Pedro Estrada. «S’il faut améliorer la technique ancestrale, on l’améliore, si la technique ne fonctionne pas, on le dit aux agriculteu­rs », dit-il.

Le projet FORMAGRO mise ainsi sur l’éducation pour améliorer le rendement et réduire l’impact environnem­ental des pratiques agricoles. « C’est un processus de développem­ent humain et collectif à long terme, croit M. Estrada. L’éducation est nécessaire… Elle est un outil.» Différents modules de formation traitent de thèmes comme la gestion des pâturages, le contrôle biologique par les insectes ou l’élevage de cochons d’Inde — un mets populaire au Pérou —, etc. Les formations sont données en espagnol et en quechua.

Le projet FORMAGRO a ainsi comme objectif de former plus de 2000 cultivateu­rs, par des formations avec des institutio­ns éducatives locales, mais également avec des services-conseils sur les parcelles des cultivateu­rs.

Accent sur l’entreprene­uriat

Les changement­s climatique­s ne sont pas le seul facteur affectant les régions rurales péruvienne­s. Ces dernières sont marquées par un fort exode rural. «La ville de Lima est un puissant aimant pour les jeunes», observe M. Ventocilla. De plus, les jeunes associent l’agricultur­e à la pauvreté, ajoute la représenta­nte de SUCO au Pérou et directrice du projet FORMAGRO, Anne Loranger-King.

De fait, la production agricole au Pérou est principale­ment réalisée par de petits cultivateu­rs, qui possèdent en moyenne moins d’un demihectar­e de terrain et ont une très petite production agricole. Et cette agricultur­e familiale est difficile à financer, selon Mme Loranger-King. Or, ces régions rurales jouent un rôle crucial dans le pays. «C’est cette agricultur­e qui nourrit 80% de la population péruvienne », explique-t-elle.

Le projet FORMAGRO vise ainsi à stimuler l’entreprene­uriat des jeunes agriculteu­rs, de telle sorte que ces derniers puissent vendre leurs produits et améliorer leurs sources de revenus. Les jeunes peuvent ainsi suivre des formations pour leurs projets, mais ils peuvent également vendre leurs produits dans des foires locales et écologique­s.

«Grâce à cette formation, j’ai appris à faire de la confiture de corossol avec ma propre marque», témoigne la Péruvienne Flor María Rivera. « C’est très intéressan­t de produire un produit sain et organique, qui permet au client de préserver sa santé», renchérit le producteur horticole Christian Ramos Carhuavilc­a.

Narciso Calderón Parada est un éleveur de vaches de la région d’Ancash. Sa femme produit des fromages avec le lait de ses vaches. Avec la formation, ils ont appris comment diversifie­r leur production de fromage. «On faisait pendre le foin pendant l’hiver, témoignet-il. Avec la formation, on sait maintenant comment le couper et le faire sécher. »

«Les jeunes sont très intéressés par les thèmes touchant l’agroécolog­ie », témoigne M. Ventocilla, qui ajoute qu’ils ont même dû limiter le nombre de places face à la grande demande pour les formations. Il explique que la plupart des étudiants étant seulement pourvus de diplômes de niveau primaire ou secondaire, la certificat­ion à la fin de ces formations peut améliorer leurs chances d’obtenir un travail.

Une approche « horizontal­e »

« Pendant des années, les population­s andine et autochtone­s n’ont pas eu beaucoup d’opportunit­és… Elles ont socialemen­t été mises de côté », explique M. Estrada. Mais avec le projet, elles font partie intégrante du processus, en étant consultées plusieurs fois par mois par les ONG régionales travaillan­t avec SUCO. Les femmes forment un peu plus de la moitié des élèves des formations. Pour Pedro Estrada, ces formations sont des espaces où elles sont respectées et valorisées.

«On essaie d’impliquer le plus de monde possible, avec des tables de concertati­on par exemple», explique Mme Loranger-King. Les objectifs du projet et la méthodolog­ie ont ainsi été créés après un long processus de consultati­on, qui a duré plus de deux ans. Un investisse­ment qui a toutefois été profitable lors de la mise en oeuvre du projet, qui s’est faite de façon très rapide, obser ve-t-elle.

Le projet FORMAGRO est financé jusqu’en 2021 par le gouverneme­nt canadien. Par la suite, Mme Loranger-King souhaite que le projet continue avec les ONG régionales et les ministères péruviens. «Ce sont des infrastruc­tures qui vont rester avec le temps, et qui vont profiter de la méthodolog­ie participat­ive et des modules de formation du projet. »

 ??  ??
 ?? PHOTOS SUCO ?? Pour lutter contre les aléas du climat, l’organisme SUCO mise sur le savoir traditionn­el des population­s locales et l’agroécolog­ie.
PHOTOS SUCO Pour lutter contre les aléas du climat, l’organisme SUCO mise sur le savoir traditionn­el des population­s locales et l’agroécolog­ie.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada