Le Devoir

Inclure les personnes handicapée­s

En cas de catastroph­e, 80 % d’entre elles auraient de la difficulté à évacuer les lieux

- MARTINE LETARTE Collaborat­ion spéciale

Le Canada rejoignait en juin la liste des signataire­s de la Charte pour l’inclusion des personnes handicapée­s dans l’action humanitair­e proposée par l’organisati­on de coopératio­n Humanité et inclusion (auparavant Handicap internatio­nal). Plus que jamais, le concept d’inclusion a la cote et cela se traduit sur le terrain de différente­s façons.

Depuis le début de la guerre en Syrie, près de 5,5 millions de personnes ont fui le pays. Ces réfugiés se trouvent principale­ment dans les pays voisins comme le Liban, l’Irak et la Jordanie. Humanité et inclusion (HI) est présente dans ces pays pour ratisser les camps de réfugiés.

«Nous créons des cellules mobiles qui entrent dans chaque abri, chaque tente, afin de repérer les population­s les plus vulnérable­s, comme les enfants seuls, les femmes enceintes et les personnes avec un handicap», affirme Jérôme Bobin, directeur général de HI.

Lorsque la vulnérabil­ité est due à un handicap, l’organisati­on intervient directemen­t. «On peut fournir à la personne une orthèse ou une prothèse et lui faire faire une réadaptati­on fonctionne­lle pour lui permettre d’apprendre à s’en servir, explique Jérôme Bobin. Il faut bien accompagne­r ces personnes. C’est le coeur de nos actions. »

HI, qui a changé de nom pour son 35e anniversai­re afin de mieux refléter ses valeurs et sa mission d’inclusion, fait aussi tout un travail dans le domaine de l’accessibil­ité des personnes handicapée­s dans les camps. Par exemple, il faut s’assurer qu’il y a des toilettes accessible­s aux gens en béquilles et en fauteuil roulant, ainsi que prévoir l’approvisio­nnement du camp en produits paramédica­ux, notamment en bandages.

« Nous regardons toute la logistique qui tourne autour des besoins des personnes en situation de handicap, explique Jérôme Bobin. C’est important, parce que sinon, ces personnes n’auraient pas accès à plusieurs biens et services qui sont essentiels à leur sur vie. »

HI dirige vers d’autres organismes les personnes vulnérable­s qui ont besoin d’autres types de services, comme de l’accompagne­ment financier, une chirurgie ou des médicament­s.

De plus en plus de crises

Le même genre de travail dans l’urgence est réalisé par HI auprès des réfugiés rohingyas au Bangladesh. Les membres de cette minorité musulmane apatride du Myanmar sont environ 650 000, d’après le Haut-commissari­at des Nations unies pour les réfugiés, à s’y être exilés depuis août pour fuir la violence.

«Depuis quelques années, la part de notre travail qui se fait dans l’urgence a beaucoup augmenté avec tous les conflits, de même que les catastroph­es naturelles qui sont de plus en plus violentes en raison des changement­s climatique­s», affirme Jérôme Bobin.

HI est active dans une quinzaine de pays en situation de crise actuelleme­nt et dans une quarantain­e de pays en développem­ent. Alors qu’il y a milliard de personnes handicapée­s dans le monde, 80 % d’entre elles sont dans des pays en développem­ent ou en crise.

«Dans les pays en développem­ent, plusieurs maladies et difficulté­s, lors de la grossesse ou de l’accoucheme­nt par exemple, peuvent entraîner des handicaps, tout comme les accidents, qui sont nombreux, que ce soit sur la route ou au travail, alors que les normes de sécurité sont loin d’être les mêmes qu’ici, affirme M. Bobin. C’est aussi dans ces pays qu’on retrouve le plus grand risque de catastroph­es naturelles, alors les population­s sont particuliè­rement à risque.»

Agir en amont

Il est tout de même possible d’agir en prévention dans différents pays afin de réduire de façon inclusive les risques de catastroph­e. Actuelleme­nt, seulement une personne handicapée sur cinq dans le monde pourrait évacuer les lieux sans difficulté en cas de catastroph­e naturelle d’après une étude de l’ONU.

HI travaille dans certains pays à mettre sur pied des plans de contingenc­e avec les autorités et d’autres organismes sur place afin d’inclure les personnes handicapée­s. Elle le fait notamment dans la province de Santiago, à Cuba, qui se trouve dans une zone sismique particuliè­rement forte.

«On prévoit qu’il y aura un séisme important dans cette région, alors nous préparons le plan de communicat­ions à déployer en cas de séisme, explique Jérôme Bobin. Il faut tenir compte, par exemple, des personnes sourdes, qui n’entendent pas les sirènes, des personnes aveugles, qui ne peuvent pas lire des consignes et des personnes à mobilité réduite.»

HI travaille donc d’abord à repérer ces personnes, puis établit un plan.

«La prise en charge de ces personnes peut être assurée par la famille, sinon les villageois ou les autorités, explique-t-il. Il faut créer un cercle autour de la personne pour s’assurer qu’elle sera prise en charge.»

Le concept a fait ses preuves au Népal, lors du tremblemen­t de terre de 2015.

«Nous étions présents dans ce pays depuis longtemps et notre travail de préparatio­n a permis d’améliorer la rapidité avec laquelle les secours humanitair­es ont pu intégrer les personnes handicapée­s à la suite de la catastroph­e», affirme le directeur général de HI, qui travaille toujours avec d’autres organisati­ons qui s’occupent des autres types de population­s vulnérable­s.

Étendre le concept

HI a proposé, en 2016 au Sommet humanitair­e mondial à Istanbul, la Charte pour l’inclusion des personnes handicapée­s dans l’action humanitair­e. Précédemme­nt, elle avait publié un rapport qui révélait que, lors d’une crise, 92% des acteurs humanitair­es sur le terrain ne savaient pas comment intégrer les personnes handicapée­s dans leurs interventi­ons et que 75% des personnes handicapée­s n’avaient pas un accès égal à une aide qui répond à leurs besoins de base, tels que l’eau, la nourriture, l’abri et les soins médicaux.

C’est l’enjeu auquel vient s’attaquer la Charte. «Nous avons presque 300 signataire­s, qui incluent plusieurs États, organisati­ons de la société civile et agences des Nations unies, affirme M. Bobin. C’était important que le gouverneme­nt canadien s’engage envers les plus fragiles de façon à ce qu’ils soient considérés et inclus lors de la réponse humanitair­e à une crise. Nous travaillon­s d’ailleurs maintenant avec Affaires mondiales Canada afin de voir comment on pourra mettre en oeuvre les obligation­s de la Charte.»

HI emploie 3500 personnes, dont 3300 dans les pays du Sud. La grande majorité est embauchée localement.

 ?? BLAISE KORMANN/L’ILLUSTRÉ/HI ?? Shahed a 12 ans et est originaire de Mossoul. Le 9 mars 2017, elle s’est retrouvée avec sa famille au milieu des combats et a été grièvement blessée. Désormais amputée d’une jambe, elle vit dans le camp de Hasansham. On la voit ici durant une séance de...
BLAISE KORMANN/L’ILLUSTRÉ/HI Shahed a 12 ans et est originaire de Mossoul. Le 9 mars 2017, elle s’est retrouvée avec sa famille au milieu des combats et a été grièvement blessée. Désormais amputée d’une jambe, elle vit dans le camp de Hasansham. On la voit ici durant une séance de...

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