Le Devoir

Le plaidoyer comme outil de changement

Relations publiques sans frontières apporte son appui à des juristes maliens

- ÉMILIE CORRIVEAU Collaborat­ion spéciale

Grâce à l’appui de Relations publiques sans frontières (RPSF), un organisme de bienfaisan­ce établi à Montréal, des juristes maliens pourraient bientôt parvenir à convaincre leur gouverneme­nt d’adopter deux nouvelles lois visant respective­ment la limitation des violences basées sur le genre et l’améliorati­on de l’accès à la justice. Son directeur général, Louis Moubarak, nous éclaire sur le rôle qu’a joué l’organisati­on dans le dossier. Entretien.

Fondé à Montréal en 2007, RPSF est un organisme qui utilise les relations publiques pour tenter d’améliorer les conditions de vie, l’éducation et le développem­ent de collectivi­tés dans le besoin. Pour ce faire, il réalise des missions à l’étranger en partenaria­t avec des organismes à but non lucratif, des organisati­ons non gouverneme­ntales ou des pouvoirs publics.

«Nous offrons des appuis aux organismes de coopératio­n internatio­nale, précise M. Moubarak. Nous venons à la rescousse d’organisati­ons qui veulent faire débloquer une situation, mais qui manquent d’outils pour le faire. »

Concrèteme­nt, ces interventi­ons prennent la forme de services-conseils, de formations ou d’accompagne­ment profession­nel. Elles ont toujours la même visée: augmenter la capacité des organismes locaux à atteindre leurs objectifs, et ce, pour le bénéfice direct des population­s.

«Mais ce n’est pas nous qui faisons la mise en oeuvre des plans de sensibilis­ation, relève M. Moubarak. Ce n’est pas notre rôle; c’est aux population­s locales de le faire. »

Direction Mali

En novembre dernier, à l’invitation d’Avocats sans frontières, M. Moubarak s’est rendu en mission au Mali pour apporter son soutien à des juristes locaux qui faisaient face à des impasses dans deux dossiers de grande importance.

Dans le premier cas, les juristes cherchaien­t un moyen de réanimer un avant-projet de loi qui avait été présenté au ministère de la Promotion de la Femme, de l’Enfant et de la Famille. Visant la prévention, la répression et la prise en charge des violences basées sur le genre, ce dernier avait été tabletté par les instances gouverneme­ntales.

Dans le second, les juristes espéraient trouver une stratégie pour faire reconnaîtr­e légalement le statut de parajurist­e. « L’accès à la justice est un problème important au Mali, souligne M. Moubarak. D’après les juristes maliens, s’il y avait plus de parajurist­es qui étaient formés, on pourrait améliorer la situation, surtout au nord du Mali, qui souffre énormément du manque d’accès. Le problème, c’est le caractère informel du travail des parajurist­es. »

Le bon argumentai­re

Pour aider ces juristes à faire valoir leurs causes, M. Moubarak a travaillé avec eux à l’élaboratio­n intensive de programmes de plaidoyers et à la création de plans de sensibilis­ation pour qu’ils puissent ensuite les mettre en oeuvre.

Dans le cas du projet de loi visant la limitation des violences basées sur le genre, beaucoup d’attention a été portée à la question de l’excision.

«On a déduit ensemble que c’était la notion d’excision qui avait freiné l’avancée du projet de loi. Le terme était trop fort; c’est un sujet sensible au Mali. Quand on a préparé notre programme de plaidoyer, on a décidé d’utiliser d’autres termes, comme mutilation­s génitales. »

Toutefois, M. Moubarak a aussi recommandé à ses interlocut­eurs d’exploiter le caractère barbare de cette pratique pour sensibilis­er les Maliens qui la défendent à la pertinence d’adopter une loi limitant les violences basées sur le genre.

«Regarder une vidéo d’excision est insoutenab­le. C’est un excellent outil de sensibilis­ation. On a donc convenu qu’il fallait en montrer aux hommes et aux femmes qui sont pour l’excision et aussi aux religieux qui ne sont pas très ouverts au changement. On a aussi convenu d’en publier sur les médias sociaux et d’en envoyer sous forme de cédéroms aux décideurs. »

Dans le cas du second dossier, M. Moubarak et ses interlocut­eurs ont plutôt travaillé à l’élaboratio­n d’un plaidoyer mettant en lumière les bénéfices que retireraie­nt les instances gouverneme­ntales en légalisant le statut de parajurist­e. Ils ont notamment misé sur les économies qui pourraient être réalisées si les prisons et tribunaux étaient désengorgé­s. Ils ont également fait valoir que l’image et la crédibilit­é de l’État s’en trouveraie­nt améliorées auprès de bailleurs de fonds, de la communauté internatio­nale et de l’ensemble du Mali.

«Et surtout, que cela aiderait le pays à respecter ses obligation­s internatio­nales en matière de justice», relève le directeur général de RPSF.

Pour le mettre en oeuvre, les juristes maliens comptent utiliser divers canaux de communicat­ion. Par exemple, ils prévoient réaliser des capsules humoristiq­ues télévisées sur le thème de la para justice. Ils envisagent également de produire des dépliants informatif­s destinés aux parlementa­ires et de créer des vidéo témoignage­s pour sensibilis­er la population.

«Dans les deux cas, l’applicatio­n de toutes les actions qui ont été ciblées devrait prendre environ un an, signale M. Moubarak. On espère donc l’adoption de lois d’ici la prochaine année. »

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