Attention aux lunettes roses
Les Québécois sont optimistes, mais sont-ils préparés ?
« La bonne performance des marchés boursiers ces dernières années, jumelée à la baisse du chômage et aux faibles taux d’intérêt, rend les Québécois assez optimistes quant à leur situation financière», avance Michel Gariépy, analyste au service de l’éducation financière de l’Autorité des marchés financiers (AMF).
Le plus récent indice des investisseurs des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) montre que plus de la moitié des investisseurs québécois (55%) ont confiance de réaliser leurs objectifs de placement au cours des 12 prochains mois et encore plus (60%) d’y parvenir dans les cinq prochaines années.
Au Québec, 52% des gens possèdent de l’épargne ou de l’investissement dans un REER, un FERR ou un autre régime de retraite, selon l’AMF. Les Québécois disent aussi dans une large proportion se préparer à leur retraite. Une étude de l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) révèle qu’en 2014, un peu plus de six adultes québécois sur dix affirmaient le faire grâce à un plan d’épargne personnel ou à un régime de pension de l’employeur.
Préparés ou rêveurs?
Donc, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes? Malheureusement, non. Si l’auto-évaluation des Québécois quant à leur degré de préparation à la retraite se veut optimiste, d’autres indices soulèvent quelques inquiétudes. «Un tiers des Québécois n’ont aucune épargne ni investissement, rappelle Michel Gariépy. C’est-à-dire que non seulement ils ne préparent pas leur retraite, mais ils ne disposent même pas d’un fonds d’urgence en cas de coup dur. »
Du côté de Retraite Québec, on avance que trois Québécois sur quatre n’ont jamais calculé l’épargne dont ils auront besoin pour leur retraite. Un sur dix n’a même aucune idée de quelle sera sa principale source de revenus à la retraite. «Les gens disent qu’ils épargnent et plusieurs le font, par exemple en contribuant à un REER, explique Nathalie Madore, directrice de la statistique et de l’analyse quantitative de Retraite Québec. Toutefois, ils contribuent souvent de petits montants, pas toujours de manière systématique au fil des ans et surtout, ils restent trop peu nombreux à miser sur un plan réfléchi, avec des objectifs financiers précis. »
Autrement dit, une bonne proportion des gens qui se disent préparés auront de mauvaises surprises une fois rendus à la retraite. « Pour les bénéficiaires de régimes de pension à prestations déterminées chez leur employeur, l’impact d’un manque de préparation ne sera peut-être pas dramatique, mais pour tous les autres, les conséquences financières peuvent être lourdes», prévient Angela Iermieri, planificatrice financière et représentante en épargne collective pour Desjardins, cabinet de ser vices financiers.
Savoir demander de l’aide
Selon Angela Iermieri, il ne s’agit pas pour tous les Québécois de devenir des spécialistes des finances et de se fignoler un plan d’épargneretraite à toute épreuve, mais plutôt de prendre conscience de leur besoin de consulter pour obtenir ce plan, plutôt que d’épargner à l’aveugle.
«C’est vrai que ce n’est pas simple de construire un plan de retraite, admet-elle. Il faut tenir compte de la fiscalité, de l’inflation, choisir les bons véhicules de placement et les investissements judicieux, ou encore estimer ses besoins à la retraite sur une longue période. Le résultat différera pour chaque individu. Cette opération doit idéalement se faire avec une ressource professionnelle. »
Elle insiste toutefois pour dire qu’il ne s’agit pas non plus de larguer la responsabilité sur les épaules d’un conseiller, puis de s’en laver les mains. Il faut s’infor]mer afin d’avoir des notions de base. Cela permettra de poser les bonnes questions au professionnel et aussi d’avoir une idée plus claire de ses perspectives financières. «La sécurité financière est un gros stress pour beaucoup de gens et détenir plus de connaissances aide à le diminuer», croit Angela Iermieri.
Selon les ACVM, 55% des Canadiens ayant recours à des professionnels du conseil financier comptent sur un plan précis, contre seulement 18% des autres. Or, ajoute Camille Beaudoin, directeur de l’éducation financière à l’AMF, les gens qui consultent un tel professionnel adoptent au minimum un bon comportement financier de plus que ceux qui ne le font pas (sur la quarantaine que surveille l’Autorité dans son indice annuel).
Le recours à un spécialiste permet aussi d’éviter de sousestimer ou oublier des facteurs dont l’incidence sera cruciale sur notre santé financière à la retraite ou encore de commettre des bourdes regrettables. «Les gens omettent très souvent de calculer l’inflation dans leur plan de retraite, illustre Nathalie Madore. Ils sous-estiment aussi la durée de la retraite. Avec l’allongement de la vie, il faut des fonds pour subsister 30 ans, parfois même plus. Certains passeront presque autant d’années à la retraite qu’en emploi.»
Autre erreur fréquente, réclamer sa pension de la Régie des rentes du Québec à 60 ans plutôt qu’à 65 ans, malgré le fait que cela signifie que la rente annuelle sera significativement amputée. Une rente annuelle de 10 000 $ à 65 ans ne sera que de 6559$ si elle est réclamée à 60 ans. Inversement, elle grimpera à 14 200 $ si elle l’est à 70 ans.
Beaucoup de ces mauvaises décisions proviennent de connaissances financières déficientes. Depuis 2015, le Québec dispose d’une Stratégie québécoise en éducation financière. L’année 2017 a ainsi été marquée par l’introduction d’un cours en éducation financière pour les élèves de cinquième secondaire, visant l’apprentissage de notions de base comme le crédit et l’épargne et du fonctionnement d’organismes tels l’AMF ou l’Office de la protection du consommateur.
En 2018, dernière année du plan d’action de la Stratégie, l’objectif est de rejoindre les Québécois dans leur milieu de travail. L’AMF, les syndicats, le Mouvement Desjardins et des organismes communautaires feront la promotion d’outils à diffuser dans ces milieux concernant la planification de la retraite et la réduction du stress financier au travail.
« Le plus grand défi demeure d’intéresser les gens à leurs finances et de les sensibiliser à l’importance de planifier bien à l’avance leurs revenus de retraite et c’est ce sur quoi nous travaillons», conclut Camille Beaudouin.
Il ne s’agit pas non plus de larguer la responsabilité sur les épaules d’un conseiller, puis de s’en laver les mains