Le Devoir

La grande histoire des petits sexes masculins

Les attributs surdimensi­onnés ont longtemps été associés à une bêtise extrême

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU

La loi antipourri­el du gouverneme­nt canadien a eu, entre autres effets, celui de soulager les messagerie­s électroniq­ues d’un certain nombre de publicités vouées à signaler aux hommes des artifices et des procédés par lesquels ils peuvent, du moins leur promet-on, augmenter les dimensions de leur sexe.

Selon David Poellhuber, chef de l’exploitati­on de Zéro Spam, compagnie spécialisé­e dans le blocage de publicités indésirées, ces pourriels demeurent encore nombreux bien que leur nombre «ait fortement diminué pour laisser place à de nouveaux types de nuisances». L’orgie de publicités sur ce sujet bien localisé de l’intimité masculine illustre en tout cas une focalisati­on sur un trait morphologi­que qui n’a pas toujours été envisagé de la même façon. À divers moments de l’histoire, les sexes mâles surdimensi­onnés furent souvent associés à une bêtise extrême. À l’animalité. À l’exclusion. Voire à la laideur.

La puissance de la pornograph­ie, décuplée grâce aux nouvelles technologi­es, a exacerbé cette représenta­tion du pénis de grande taille, édifié en idéal. «Dans ce cinéma, on s’intéresse à des êtres d’exception, où on ne se focalise d’ailleurs que sur leur sexe », explique Julie Lavigne, professeur­e au Départemen­t de sexologie de l’UQAM. Selon ces projection­s insis-

tantes, le sexe masculin devrait répondre à des dimensions loin de la moyenne.

À Londres, des chercheurs du King’s College ont établi en 2015, sur la base de 17 études portant sur 15 521 individus de tout âge et de toute origine ethnique, des moyennes physiologi­ques du sexe masculin. Il s’agit de la plus importante étude du genre qui doit notamment servir dans des cas de dysmorphop­hobie, la crainte pour un homme d’être mal formé. Résultats? La taille moyenne du pénis flasque: 9,1cm. En érection: 13,2cm. Mais la fiction, on le sait, prend pour vrai ce qui lui est souvent parfaiteme­nt contraire. D’où en partie ces pilonnages publicitai­res répétés au nom de sexes masculins surdimensi­onnés.

L’image de la pornograph­ie fait oublier l’idée d’un pénis au repos, son état ordinaire. « Dans la statuaire grecque, on représente des corps selon un idéal de perfection divine, dans des proportion­s toujours

bien équilibrée­s», selon Julie Lavigne. On dira d’ailleurs d’un homme qu’il est beau comme une statue grecque. Mais «les sexes de ces statues, toujours au repos, sont très petits ».

Ces sculptures constituen­t des représenta­tions d’un idéal qui renvoie à un équilibre parfait du corps et de l’esprit. Elles ne rendent pas compte forcément de la réalité. Cet équilibre repousse les excès liés à la sexualité, contraires à l’ordre civique.

Non pas que la sexualité soit absente du monde grec. Dario Fo, Prix Nobel de littératur­e, s’est plaint plus d’une fois que les traduction­s du théâtre classique grec butent souvent sur des scènes à fortes connotatio­ns sexuelles, en ne sachant comment les rendre intelligib­les. Dans le théâtre d’Aristophan­e, on trouve par exemple des diminutifs sexuels, tel «posthion» (petit sexe), qui tiennent lieu non pas d’insultes, comme on pourrait le croire d’emblée, mais de compliment­s.

Le sexe, dans l’Antiquité, « ne connaît pas le péché originel et n’a rien de tabou», explique Janick Auberger, historienn­e de la Grèce classique. «Mais le regard social ne permet

pas de faire n’importe quoi, et l’homme se doit d’être maître de lui et de ses impulsions, surtout s’il veut jouer un rôle social et politique. »

Les vases grecs montrent quantité de représenta­tions de satyres dont les sexes dressés exhibent en fait la folie, le désordre, le dérèglemen­t du monde social. « Les sexes sont souvent représenté­s chez les Grecs, mais pas lorsqu’il est question de la totalité de l’homme. Ils sont isolés ou alors ils appartienn­ent à des satyres, mi-hommes, mibêtes », dit la professeur­e Julie Lavigne.

Cette vision culturelle favorable à l’équilibre que symbolise le petit sexe masculin est aussi présente sous le grand chapiteau de la culture chrétienne. Le David que MichelAnge sculpte vers 1504 possède lui aussi un très petit sexe. Et sa fabuleuse fresque du plafond de la chapelle Sixtine à Rome, loin de cacher les sexes masculins, les révèle, très petits.

L’équilibre

Le philosophe Michel de Montaigne (1533-1592) va s’insurger contre les modes vestimenta­ires où le sexe masculin se trouve mis en avant, avec par exemple la mode du justaucorp­s. Le philosophe juge ces modes ridicules. On trouve ailleurs chez Montaigne des considérat­ions sur l’ambiguïté sexuelle envisagées comme des motifs de réflexion sur ce que devrait être un sain équilibre social.

Au XVIIIe siècle, d’une manière semblable, le néoclassic­isme en vogue charrie avec lui les usages d’une sexualité moins marquée au sein de la société. On en vient même, explique l’historien français Pierre Serna, à défendre la place «d’un troisième genre», presque d’un troisième sexe. L’être «moins sexué, qui n’affirme pas de force virile», trouve sa place dans cette réflexion. C’est l’époque où l’on s’intéresse beaucoup à l’hermaphrod­ite. Des peintres comme Girodet et David donnent à voir des êtres dont la sexualité apparaît indéfinie. « Tout cela contribue à la spirituali­sation et à l’idéalisati­on du corps.» Ce qui rend les représenta­tions fortement sexuées moins présentes. Mais cette réflexion est écrasée quelque temps après le début de la Révolution, observe Pierre Serna à l’occasion d’un entretien. La figure d’un pouvoir constitué autour de l’image du sexe masculin est alors puissammen­t réactivée.

Exclure

Si chez les Romains, à la différence des Grecs, on raille les petits «glaives» au nom de l’esprit guerrier, le gros sexe n’en évoque pas moins très souvent des dispositio­ns qui visent à l’exclusion. Car un gros sexe masculin est longtemps vu comme un attribut des bêtes, des barbares, des vivants dont on estime en un mot que les moeurs sont déréglées, barbares. La dimension du pénis sert ainsi à repousser, à éloigner.

Serge Bilé, dans un livre volontaire­ment provocateu­r intitulé La légende du sexe surdimensi­onné des Noirs, a montré par une multitude de cas que cette projection sexuelle racialisée tient ses origines dans une volonté d’exclusion. En étant réduit à la taille de son sexe, l’homme noir est assimilé à un animal. Aucune étude scientifiq­ue, rappelle Serge Bilé, ne permet d’appuyer ces prétention­s morphologi­ques racistes.

Gouverner

Pour plusieurs chefs politiques, toujours des hommes, la nation ne saurait supporter la moindre ambiguïté à l’égard de la sexualité. Ce n’est pas pour rien que le pénis «est devenu la symbolique du pouvoir», dit Julie Lavigne. En 1800, dans une campagne électorale américaine agressive, Thomas Jefferson accusera son opposant John Adams d’avoir un «hideux caractère hermaphrod­ite, qui n’a ni la force et la fermeté d’un homme ni la douceur et la sensibilit­é d’une femme ».

En 2016, Donald Trump, lors de sa campagne électorale, se débat contre des allégation­s du sénateur Marco Rubio voulant qu’il ait «de petits doigts», en langage crypté un « petit sexe ».

François-Xavier Simard et Jean Côté, les deux biographes de l’homme d’affaires Pierre Péladeau, rapportent que le fondateur de Quebecor, au temps où il s’engagea dans les rangs des unités à l’entraîneme­nt de la marine militaire canadienne, monnayait les regards sur le gros sexe d’un de ses bons amis pour démontrer, cette curieuse preuve à l’appui, la supériorit­é des Canadiens français sur les Canadiens anglais. Pourquoi l’identité masculine, forgée en partie par la nationalit­é, trouve-telle à s’appuyer sur l’image du pénis surdimensi­onné? Ce n’est pas une petite question.

 ?? ALBERTO PIZZOLI AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Le David de Michel-Ange a été sculpté vers 1504. Il est exposé à la Galleria dell’Accademia, à Florence, en Italie.
ALBERTO PIZZOLI AGENCE FRANCE-PRESSE Le David de Michel-Ange a été sculpté vers 1504. Il est exposé à la Galleria dell’Accademia, à Florence, en Italie.

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