Le Devoir

La livraison solidaire, l’avenir du transport de colis?

La start-up française Copelican met en lien voyageurs et expéditeur­s d’objets

- ISABELLE PARÉ

Cela pourrait devenir l’équivalent d’un Uber pour les objets ou l’équivalent mobile d’Airbnb. Si l’économie du partage a révolution­né la façon de se déplacer en taxi ou d’être hébergé en voyage, pourraitel­le aussi un jour changer la façon dont sont livrés et transporté­s des milliers d’objets dans le monde ?

Il y a à peine plus d’un an, deux jeunes Françaises de 24 ans, originaire­s de la région parisienne, y ont vu un nouveau filon potentiel en lançant une sorte d’«Uber» pour les objets, afin de trouver une solution collaborat­ive aux complicati­ons et aux forts coûts de l’envoi de colis entre villes et entre pays. En novembre 2016, Copelican était né, première plateforme numérique permettant la mise en relation de voyageurs et d’expéditeur­s pour faciliter l’expédition d’objets entre personnes.

Des envois trop coûteux

Saliha Chekroun, tout juste diplômée des Hautes Études commercial­es, et Maâde Guettouche, jeune ingénieure, ont eu cette idée au terme de nombreux séjours passés à Singapour, à Londres et au Cambodge pour des échanges étudiants.

« On a eu ce flash parce qu’on avait de la famille à l’étranger et que nous avions souvent besoin d’envoyer des colis. Mais c’était très cher pour nous, comme étudiantes. Alors, on était toujours à la recherche de gens qui faisaient le voyage. À Singapour, je pouvais mettre des semaines ou même des mois à trouver quelqu’un pour prendre mes paquets», raconte Maâde Guettouche, jointe à Paris.

Alors que les deux jeunes diplômées étaient promises à des stages alléchants dans de grandes firmes bien en vue, elles ont plutôt décidé de voler de leurs propres ailes en 2017 en lançant leur propre startup, une façon pour elles de travailler à quelque chose de concret qui « allait avoir un impact durable sur la société ».

Milliers de trajets

«On s’est dit que tous les jours des millions de personnes faisant des trajets pourraient emporter un objet en se déplaçant. Les colis que veulent envoyer certaines personnes sont parfois soit trop gros pour être acceptés par les compagnies de livraison, soit trop fragiles aux yeux de leurs propriétai­res pour être confiés à ce genre de services», explique Maâde Guettouche.

Après son lancement, Copelican se forge rapidement une petite communauté d’utilisateu­rs. Le procédé est simple : les expéditeur­s affichent une annonce sur la plateforme précisant le prix offert, la date d’expédition souhaitée, la descriptio­n et la destinatio­n de l’objet à transporte­r, puis attendent que se manifesten­t des voyageurs.

«Le gros de notre travail, c’est de trouver le plus grand nombre de voyageurs possible pour pouvoir répondre aux demandes des expéditeur­s. Ceuxci doivent pouvoir choisir celui qui leur convient le plus, en fonction de son profil, de son lieu ou de son heure de départ. Nous nous assurons aussi de vérifier l’identité des usagers pour des raisons de sécurité», explique Maâde Guettouche.

Ma guitare dans ta voiture

L’expéditeur paie le montant convenu entre usagers sur la plateforme sécurisée de Copelican et reçoit un code qui permettra au voyageur, appelé «Pélican», d’être payé seulement quand l’objet sera arrivé à bon port, et en bon état. L’entreprise retient une commission sur chaque transactio­n, qui pour l’instant permet d’autofinanc­er le ser vice.

«Ce sont les gens qui fixent les prix entre eux. En général, cela peut être beaucoup moins coûteux qu’un service de livraison traditionn­el puisque les gens le font à la fois pour rendre service et pour avoir un petit bonus, qui les aide à payer une partie de leurs dépenses de transport», précise la jeune entreprene­ure.

Grâce à un algorithme développé pour Copelican, la plateforme offre aux expéditeur­s seulement la liste des voyageurs inscrits, répondant précisémen­t à leurs besoins, au jour et au prix recherchés. Les transports peuvent se faire par voiture, mais aussi par train, par autobus et même par traversier, affirme Mme Guettouche. Elle n’exclut pas qu’un jour les pélicans migrateurs de ce service en ligne puissent avoir des ailes.

«Nous n’avons pas encore procédé à des transports par avion, mais nous prévoyons que cela devienne possible puisque nous souhaitons étendre notre service à d’autres continents», dit-elle.

Créé dans la région parisienne, Copelican a depuis desservi des usagers à travers la France, la Belgique et dans plusieurs grandes villes d’Europe. Encore jeune, la petite entreprise se dit toutefois incapable de chiffrer avec exactitude le nombre de ses usagers à ce jour.

Confiance mutuelle

Selon la cofondatri­ce de la plateforme, beaucoup d’expéditeur­s font davantage confiance à des particulie­rs pour transporte­r des choses fragiles, notamment de la vaisselle ou des objets de valeur comme des instrument­s de musique, qu’à des compagnies de transport.

Si a priori beaucoup de consommate­urs se posent des questions sur la sécurité d’un système basé en partie sur la confiance mutuelle entre voyageurs, les instigatri­ces de cette solution collaborat­ive affirment que des assurances sont prévues en cas de bris et que le soin apporté aux objets par ces «expéditeur­s citoyens» est surprenant. En sus, comme une multitude d’autres plateforme­s de services en ligne tels Airbnb et Uber, la rétroactio­n rapide des usagers permet d’évaluer en temps réel la fiabilité et l’attitude d’un voyageur.

«Les voyageurs nous disent qu’ils se sentent beaucoup plus responsabl­es quand ils transporte­nt les objets des autres que leurs propres objets. Dans le train, plusieurs ne quittent pas leur valise des yeux, certains la gardent même sur eux!» raconte Maâde Guettouche.

Y a-t-il un avenir pour cette nouvelle forme de transport de marchandis­es? Selon la jeune entreprene­ure, des compagnies de transport ont déjà fait part de leur intérêt à développer des ententes avec Copelican pour compléter leur propre offre de transport. «Ils ne nous voient pas comme des concurrent­s, parce que nous livrons en général des objets qu’ils ne transporte­nt pas», dit-elle. Le fait de pouvoir faire voyager les objets de main à main, sans passer par un entrepôt, un comptoir de dépôt ou un intermédia­ire, sans restrictio­n d’horaire et au prix convenu entre usagers, est un des avantages de ce modèle collaborat­if, pense la cofondatri­ce de cette jeune pousse qui a remporté l’an dernier à Paris la finale du concours Startupper Academy, doublée d’une bourse de 10 000 euros.

En définitive, si plus de pélicans se promènent sur les routes ou en transports en commun avec les colis d’autrui, cela aura le double avantage de minimiser les effets du transport sur la planète et de réduire les coûts de livraison. «En fait, ajoute Maâde, la plupart des gens le font parce qu’ils sont heureux de rendre service, tout en ayant un impact sur l’environnem­ent. »

«Les voyageurs nous disent qu’ils se sentent beaucoup plus responsabl­es quand ils transporte­nt les objets des autres que leurs propres objets Maâde Guettouche, cofondatri­ce de Copelican

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ISTOCK Les transports peuvent se faire par voiture, mais aussi par train, par autobus, par traversier, et peutêtre un jour, par avion.

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