Le Devoir

Recherche et innovation L’alcoolisme expliqué par la psychologi­e

La génétique n’est qu’un facteur parmi d’autres, affirme la professeur­e Roisin O’Connor

- KARL RETTINO-PARAZELLI

Plusieurs études ont démontré que l’alcoolisme peut être lié à des facteurs génétiques, mais ne considérer que cette partie de l’équation serait une erreur, fait valoir la professeur­e Roisin O’Connor, qui étudie depuis plusieurs années les causes psychologi­ques des problèmes d’alcool chez les jeunes adultes.

«Même s’il peut exister des prédisposi­tions génétiques, je pense que les problèmes d’alcool peuvent être causés par des comporteme­nts qu’on adopte au cours de notre vie, explique celle qui enseigne à Concordia depuis 2009. Pour certains, c’est plus simple et moins inquiétant de penser que c’est physiologi­que, que c’est un problème lié au cerveau. Mais c’est plus compliqué que cela, et je pense qu’on ne verra pas de changement­s importants tant qu’on ne l’admettra pas. »

Reconnaîtr­e les facteurs psychologi­ques pouvant entraîner des problèmes d’alcool, c’est aussi donner de l’espoir à ceux qui pourraient croire qu’il n’existe pas de solution pour eux, ajoute-t-elle. «On peut dire aux gens que leur avenir n’est pas scellé parce qu’ils ont des antécédent­s familiaux d’alcoolisme. Il y a plusieurs choses qui peuvent être faites. »

Raisons différente­s

Roisin O’Connor a commencé à s’intéresser au lien entre la psychologi­e et la consommati­on d’alcool alors qu’elle était elle-même étudiante universita­ire, au début des années 1990. «C’est là que j’ai remarqué pour la première fois que différente­s personnes suivent différente­s trajectoir­es et que certaines font des choix risqués. J’ai constaté à quel point de jeunes gens brillants peuvent développer des problèmes d’alcool et changer soudaineme­nt. »

« Ce qui me frappe, c’est que les gens vont dire que c’est normal de boire beaucoup quand on est étudiant et que ça finit par passer. Mais il suffit d’un épisode malheureux pour changer la vie de quelqu’un », fait-elle remarquer.

Avec les années, elle a tenté de mieux comprendre ce qu’elle a elle-même observé comme étudiante en s’attardant à la personnali­té et aux motivation­s des buveurs. Elle distingue aujourd’hui quatre principale­s raisons de consommer de l’alcool chez les jeunes adultes: se conformer à un groupe, suivre une norme sociale, rechercher une stimulatio­n ou tenter de mieux faire face à une situation.

«Ceux qui boivent par conformité ou pour des raisons sociales peuvent développer des problèmes, mais la transition vers la vie adulte est généraleme­nt plus facile, alors que ceux qui boivent pour les deux autres raisons sont généraleme­nt plus à risque, explique la professeur­e. C’est particuliè­rement problémati­que pour ceux qui boivent pour faire face aux situations qu’ils vivent, parce qu’ils n’arrivent pas faire une croix sur les habitudes de consommati­on qu’ils ont développée­s pendant leurs années universita­ires. »

Buveurs anxieux

Dans le cadre de ses recherches, la professeur­e a par exemple constaté que les personnes anxieuses sont plus susceptibl­es de développer des problèmes à long terme parce qu’elles se servent en quelque sorte de l’alcool comme béquille pour oublier un événement négatif ou se donner le courage d’affronter une soirée où elles ne sentent pas à l’aise.

Pour y voir plus clair, la professeur­e a récemment mené une étude basée sur un sondage assez particulie­r. Pendant 21 jours consécutif­s, des étudiants universita­ires se décrivant comme anxieux à différents degrés ont répondu à des questions qu’ils recevaient par message texte avant, pendant et après une soirée impliquant la consommati­on d’alcool. Les résultats ont démontré que le niveau d’anxiété d’un buveur a une influence sur son comporteme­nt.

« Ceux qui sont les plus anxieux vont avoir des regrets le lendemain d’une soirée arrosée. Et lorsque arrive une autre occasion de boire, ils ne le feront pas. Mais ceux qui sont modérément anxieux vont boire la fois suivante, comme s’ils voulaient s’automédica­menter. Comme s’ils ne pouvaient pas lâcher prise », résume Mme O’Connor.

La chercheuse ne sait pas encore exactement ce qui explique ce comporteme­nt, mais selon elle, cette constatati­on démontre à tout le moins qu’on ne peut pas traiter la dépendance à l’alcool comme un problème uniquement physiologi­que ou uniforme.

Elle espère que ses recherches permettron­t à terme d’élargir l’éventail de solutions offertes. «Si on applique toujours le même traitement à tout le monde, il est fort possible qu’on rate la cible », note-t-elle.

Davantage de sensibilis­ation

Entre-temps, elle souhaite également que les autorités publiques redoublent d’efforts pour informer les jeunes adultes au sujet de la consommati­on d’alcool jugée raisonnabl­e. Éduc’alcool revient fréquemmen­t à la charge avec des campagnes de sensibilis­ation pour rappeler les recommanda­tions québécoise­s (2 verres par jour et un maximum de 10 par semaine pour les femmes, 3 par jour et un maximum de 15 par semaine pour les hommes), mais le message ne se rend visiblemen­t pas à toutes les oreilles.

«Je vois des jeunes dans mon laboratoir­e qui pensent que le nombre de consommati­ons recommandé est bien plus élevé que ce qu’il est en réalité. Et ce sont des gens qui ont choisi d’être dans un laboratoir­e, affirme Mme O’Connor. Je pense qu’il faut clarifier ce qui est socialemen­t acceptable.»

Ce contenu est réalisé en collaborat­ion avec l’Université Concordia.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Roisin O’Connor a commencé à s’intéresser au lien entre la psychologi­e et la consommati­on d’alcool alors qu’elle était elle-même étudiante universita­ire, au début des années 1990.

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