Le Devoir

Ne touchez pas aux cégeps !

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Les cégeps font de nouveau l’objet d’une remise en question. Leur abolition serait une grave erreur. Il faut chercher ailleurs les pistes de solution pour améliorer la diplomatio­n universita­ire.

Pauvres cégeps, comme il est facile de casser du sucre sur leur dos. Les voilà maintenant responsabl­es du faible taux de diplomatio­n universita­ire chez les francophon­es au Québec, selon une étude du Centre interunive­rsitaire de recherche en analyse des organisati­ons (CIRANO) dont la méthodolog­ie suscite bien des interrogat­ions. Depuis la tenue du Forum sur l’avenir de l’enseigneme­nt collégial, en 2004, on croyait l’affaire réglée. L’abolition des cégeps, qui revient dans le débat public au même rythme que la pleine lune bleue, est une voie sans issue. D’ailleurs, le premier ministre, Philippe Couillard, a défendu leur existence sans ambages, en 2016. «Les cégeps vont demeurer», a-t-il dit. Le nouveau ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, n’a donné aucune indication contraire depuis sa nomination. Espérons qu’il en sera ainsi.

Les cégeps ont passé le cap de la cinquantai­ne. Ce réseau, comme l’ensemble des composante­s du système d’éducation, n’est pas parfait, mais il a largement contribué à combler le déficit de scolarisat­ion aux cycles supérieurs des Québécois au tournant de la Révolution tranquille et à maintenir la vitalité économique et sociale des communauté­s où ils sont implantés, en particulie­r dans les régions éloignées. Et c’est sans parler du socle commun de connaissan­ces qu’acquièrent les étudiants, autant dans le parcours préunivers­itaire que profession­nel, socle sur lequel se bâtit la citoyennet­é. Ces bénéfices individuel­s et collectifs sont toujours aussi tangibles qu’ils l’étaient autrefois.

Dans la nouvelle édition du Québec économique. Éducation et capital humain, le CIRANO se penche sur la diplomatio­n universita­ire des francophon­es au Québec sur un ton alarmiste, car il demeure plus faible que dans le reste du Canada. Le Québec compte 22% de diplômés universita­ires alors que son poids dans la fédération est de 23,3%. En comparaiso­n, l’Ontario compte 44,7% des diplômés pour une population de 38,5 % du Canada.

Les deux auteurs de l’étude, l’ex-recteur de l’Université de Montréal Robert Lacroix et le sociologue Louis Maheu, attribuent l’écart, en grande partie, à l’obligation de fréquenter les cégeps, une situation unique au Québec. Ailleurs au Canada et en Amérique du Nord, les étudiants passent 12 ans au primaire et au secondaire, et quatre ans à l’université. Une société distincte n’a pas à faire comme les autres, d’autant plus que le résultat final reste le même: 16 ans de scolarité sont nécessaire­s pour l’obtention d’un baccalauré­at.

Il est trop simple d’affirmer que les deux années de transition collégiale, qui arrivent à point nommé au passage de l’adolescenc­e à l’âge adulte, contribuen­t au décrochage (ce que sous-tend l’étude de MM. Lacroix et Maheu).

L’éliminatio­n des cégeps n’entraînera­it pas une améliorati­on de la diplomatio­n universita­ire par magie, car leur disparitio­n serait sans effet sur les déterminan­ts sociaux qui minent la réussite scolaire en amont. La scolarisat­ion des parents, la pauvreté, l’analphabét­isme, l’augmentati­on des étudiants aux prises avec des troubles d’apprentiss­age qui frappent maintenant aux portes du cégep et de l’université, sans avoir été pris en charge adéquateme­nt au primaire et au secondaire, agissent comme autant de freins à la diplomatio­n. Le CIRANO néglige cette partie de l’analyse.

L’abolition des cégeps est une voie sans issue

Si Québec abolissait les cégeps, il faudrait ajouter une année de parcours au secondaire, et une année à l’université. Sans surprises, les commission­s scolaires et les université­s sortiraien­t avantagées de l’exercice, car il faudrait les doter des ressources humaines et financière­s nécessaire­s pour assumer cette nouvelle responsabi­lité. La propositio­n du CIRANO viendrait donc avantager le réseau universita­ire, qui crie au sous-financemen­t depuis des années, à raison d’ailleurs. Ce n’est toutefois pas par le brassage des structures que passe l’améliorati­on de la diplomatio­n universita­ire.

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BRIAN MYLES

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