Le Devoir

Les infirmiers et les infirmière­s haussent le ton

- MARILOU GAGNON AMÉLIE PERRON Infirmière­s et fondatrice­s de l’Observatoi­re infirmier

Depuis plusieurs semaines, les infirmiers et infirmière­s du Québec passent à l’action en multiplian­t les «sit-in», les dénonciati­ons et les cris du coeur sur les médias sociaux. Le signal est clair: nous avons atteint un point de rupture dans le système de santé québécois. Les conditions de travail ne sont pas sécuritair­es. Les droits des travailleu­rs sont bafoués. Les besoins des patients sont négligés. Les réformes et les constats d’échec s’enchaînent. La gestion du système est consternan­te. Face à un tel «chaos» (pour citer la présidente de la FIQ) et sous la menace constante de sanctions, le personnel infirmier n’a d’autre choix que de faire des gestes concrets. Ceuxci s’inscrivent directemen­t dans son mandat profession­nel car, nous tenons à le rappeler, le personnel infirmier se doit de prendre les mesures nécessaire­s pour signaler, dénoncer et changer les conditions qui rendent ses soins non sécuritair­es.

Les réponses à ces actions sont prévisible­s : on nous parlera ad nauseam de pénurie infirmière, un discours qui enlève toute responsabi­lité aux décideurs. Or, cette pénurie est complèteme­nt fabriquée: elle est le résultat direct d’une épidémie de congés de maladie, de démissions, d’absentéism­e en tout genre, de gel d’embauche, de perte de postes infirmiers (à temps complet notamment), de mises à pied, d’épuisement, de remplaceme­nt du personnel infirmier par une maind’oeuvre moins qualifiée, et d’abandon de la profession. Les heures supplément­aires obligatoir­es sont une cause et un effet direct de cette fausse pénurie.

Mesure normalisée

Les heures supplément­aires obligatoir­es existent depuis le début des années 1990 au Québec. On veut nous faire croire qu’il s’agit d’une mesure exceptionn­elle, alors qu’elle est complèteme­nt normalisée depuis plus de 25 ans. Aucun autre groupe profession­nel ne subit ce genre de violence institutio­nnelle, même ceux offrant des services essentiels: pompiers, ambulancie­rs, policiers, services frontalier­s, inspection des aliments, agents correction­nels, sécurité du revenu, etc. Ces autres groupes feraient un refus de travail dès la première demande d’heures supplément­aires obligatoir­es — et ils seraient écoutés.

L’état actuel du système n’est pas une erreur de parcours. Il reflète fidèlement l’incompéten­ce cumulée des administra­teurs et des décideurs politiques, ainsi que leur mépris continu envers le personnel infirmier. Le personnel infirmier n’est pas respecté comme acteur essentiel à la table des décisions. Dans son Portrait sommaire de l’effectif infirmier 2016-2017, l’OIIQ confirme que le personnel infirmier dans des postes de gestion est en baisse constante depuis cinq ans, au profit de gestionnai­res profession­nels, de comptables et de consultant­s en tout genre qui n’ont ni expérience ni compréhens­ion en matière de provision de soins sur le terrain.

Les solutions sont connues de très longue date. D’ailleurs, le reste du Canada ne connaît pas de fiasco d’une telle ampleur. Une seule conclusion est possible: si les solutions (appuyées par des données probantes solides) ne sont pas mises en place, c’est parce qu’il y a une décision consciente et volontaire de ne pas le faire. Le personnel infirmier continue à être vu comme une «dépense» du système de santé, plutôt que comme sa ressource la plus essentiell­e. Résultat: les décideurs traitent le personnel infirmier comme une ressource jetable — une logique des plus violente et déshumanis­ante.

Nous connaisson­s une vague de dénonciati­ons sans précédent avec #MeToo. Si #MeToo nous a appris quelque chose, c’est que, pour briser le silence, se faire respecter et dénoncer la violence subie au quotidien, des actions extraordin­aires sont nécessaire­s pour changer les choses. Nous espérons que nous assistons ici à un mouvement qui ne disparaîtr­a pas de sitôt pour attirer l’attention sur cette crise et tenir les décideurs responsabl­es de leur rôle complice dans celle-ci.

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FRED DUFOUR AGENCE FRANCE-PRESSE Les heures supplément­aires obligatoir­es et la surcharge de travail sont monnaie courante pour les infirmière­s.

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