« Justice de merde »
Avec son possible retour au pouvoir en 2018, l’ancien premier ministre Silvio Berlusconi revient ces jours-ci à la une des médias italiens. L’homme, poursuivi par la justice dans un grand nombre d’affaires — allant de corruption de politicien à prostitution de mineure, en passant par entrave à la justice —, s’est fait une spécialité de dénoncer, sans relâche, la politisation des magistrats, leur infiltration par la gauche («les Toges rouges») et leur acharnement contre lui.
«Justice de merde» est une expression qu’on a retrouvée dans sa bouche, et qui a fait florès en Italie.
La dénonciation des institutions judiciaires (et des médias, et des contre-pouvoirs en général) par une certaine catégorie de politiciens n’est pas nouvelle. Mais elle reste rare dans la bouche de leaders exerçant le pouvoir suprême, où elle représente une sorte de cas extrême de populisme.
Aujourd’hui, sur ce terrain inhabituel du dénigrement des institutions de l’État par un leader censé les défendre, Berlusconi est battu, en violence verbale, par le président en exercice des États-Unis d’Amérique.
Depuis qu’il est arrivé au pouvoir, Donald Trump n’a pas utilisé l’expression «justice de merde» — il a réservé son répertoire scatologique à Haïti et aux pays d’Afrique —, mais il a fait bien pire. Il y a un an, il a dit tout son mépris pour les juges qui avaient bloqué, ou retardé, ses projets législatifs sur l’immigration. Aujourd’hui, il en est à dénoncer le FBI (la police fédérale) et son propre ministère de la Justice dans leur ensemble, dont il dit qu’ils ont « perdu toute crédibilité ».
«L’affaire de la note de service» qui secoue ces jours-ci le Tout-Washington est complexe dans les détails, mais simple dans ses grandes lignes. Il s’agit d’une contre-attaque — sur la forme et sur certains points de détail — menée de façon spécieuse par certains éléments du Parti républicain (les plus fidèles à Donald Trump) contre les enquêtes du FBI et une commission spéciale, dont les conclusions éventuelles pourraient mener à un procès d’impeachment contre le président.
On parle ici de la «filière russe», et de la connivence supposée de cette filière avec des officiels républicains. Y a-t-il eu, oui ou non, collusion entre certains membres de «l’équipe Trump» de 2016 et des éléments étrangers (services secrets russes, diplomates, pirates informatiques…) qui auraient fourni, ou promis de fournir, des «informations compromettantes» sur Hillary Clinton, afin de discréditer la candidate démocrate?
Le document en question est en fait un gribouillage de quatre pages, écrit par un certain Devin Nunes, représentant de Californie, par ailleurs président de la commission du renseignement de la Chambre basse.
Dans ce texte, Nunes prétend que le mandat qui avait autorisé la mise sur écoute d’un lobbyiste prorusse (un Américain), et permis de faire avancer l’enquête… avait été mal acquis, et qu’il constituait un abus de pouvoir à des fins partisanes, car, dit-il, «il y a au FBI des partisans démocrates»: on simplifie, mais c’est à peu près ce que dit l’auteur. Rien dans ce document «top secret» ne vient contredire le fond de l’enquête, ni le bien-fondé de la « piste » poursuivie.
Cette interprétation ultra-partisane est bien entendu très éloignée de la réalité. Le document de Nunes n’est pas un élément de preuve ou un reportage factuel; il s’agit d’un éditorial grossier, plein d’omissions coupables, qu’on veut faire passer de façon théâtrale pour un grand scoop.
Pour mesurer le degré de partisanerie où est tombée aujourd’hui la politique américaine, qu’il suffise de rappeler que cette commission de la Chambre basse, contrôlée par les républicains, a refusé de rendre publique… la réfutation sur dix pages du document de Nunes, écrite par le porte-parole démocrate de la même commission! Et Fox News, et 35% du public américain, d’applaudir.
Avec un aussi faible bouclier argumentaire, Donald Trump — qui a autorisé la publication de ce document «classifié»… sans même l’avoir lu lui-même! — prétend aujourd’hui qu’il est innocenté, et que l’inanité de toute l’enquête russe est ainsi « prouvée ».
Il pourrait ajouter, à l’instar de Silvio Berlusconi, que c’est une «justice de merde» qui cherche aujourd’hui à le persécuter.