Le Devoir

La préparatio­n du pape sous la loupe

Les derniers faux pas du souverain pontife relancent les interrogat­ions sur la nature des informatio­ns qui lui sont communiqué­es

- NICOLE WINFIELD au Vatican

Que sait exactement le pape François de ce qui se passe au sein de son Église catholique de 1,2 milliard de fidèles? Cette question est sur toutes les lèvres depuis que le pontife a semblé ignorer le scandale sexuel qui ébranle l’Église chilienne, ce qui a terni sa récente visite de trois jours dans ce pays et l’a contraint à s’excuser peu après.

La même question a été soulevée quand il a soudaineme­nt décidé de limoger un dirigeant respecté de la banque du Vatican.

Elle a ensuite refait surface quand un cardinal lui a reproché de ne pas se rendre compte que ses propres diplomates «trahissaie­nt» l’Église catholique souterrain­e en Chine à des fins politiques.

Des observateu­rs du Vatican se demandent maintenant si le pape François reçoit suffisamme­nt de ces informatio­ns de haute qualité dont les dirigeants de la planète ont besoin, ou s’il choisit plutôt de se fier à son instinct et à son propre réseau d’informateu­rs qui lui donnent des informatio­ns clandestin­ement.

Depuis son élévation à la papauté il y a cinq ans, le pape a créé une structure de renseignem­ent informelle qui se frotte souvent aux instances vaticanes officielle­s. Cela inclut un petit «conseil de cuisine» de neuf cardinaux qui se rencontren­t tous les trois mois au Vatican et qui ont l’oreille du pape, en plus des breffages qu’il reçoit des responsabl­es du Vatican.

Événement rare, le Vatican s’est porté cette semaine à la défense du pape, des renseignem­ents qu’il reçoit et de sa compréhens­ion du dossier chinois. Le bureau de presse du SaintSiège a indiqué que le pape suit les négociatio­ns avec la Chine quotidienn­ement, qu’il est informé «fidèlement» par ses conseiller­s et qu’il est entièremen­t d’accord avec son secrétaire d’État dans cette affaire.

«Il est donc étonnant et regrettabl­e que des membres de l’Église prétendent le contraire, générant ainsi confusion et controvers­e», a dit le porte-parole du Vatican, Greg Burke.

Informatio­ns informelle­s

Une telle défense serait normalemen­t superflue, puisque les papes vivent habituelle­ment au sein de leurs principaux conseiller­s. Mais le pape François habite l’hôtel Santa Marta, au Vatican, et non au palais apostoliqu­e, où il lui est plus facile de laisser sa porte ouverte en tout temps pour accueillir ceux qui l’alimentent en informatio­ns informelle­s.

«Malheureus­ement, il est victime du syndrome Santa Marta, explique le journalist­e italien Massimo Franco. Le pape voulait y habiter parce qu’il ne voulait aucun filtre entre le secrétaire d’État et lui. En revanche, ça le condamne à aussi recevoir des informatio­ns un peu informelle­s qui ne sont pas toujours précises.»

Le pape est maître de son agenda à Santa Marta, il fait ses propres appels et il gère ses propres visites, souvent à l’insu du bureau du protocole du Vatican. Il ne regarde pas la télévision et ne consulte pas Internet, mais il lit le quotidien italien Il Messaggero et des extraits d’autres médias, en plus de ce qui lui est fourni par le Vatican.

Certaines informatio­ns lui arrivent en personne et d’autres par écrit; ces dernières sont placées à la réception de l’hôtel dans un cartable de cuir rouge que remet chaque jour un Garde suisse à l’un de ses deux secrétaire­s particulie­rs. L’un d’eux est monseigneu­r Fabian Pedacchio, un prêtre argentin que le pape, à l’époque où il était archevêque de Buenos Aires, avait envoyé à Rome.

Le pape s’appuie d’ailleurs sur une garde rapprochée composée essentiell­ement d’amis connus en Argentine qui l’informent des événements au Vatican et ailleurs dans l’Église.

Il peut aussi se révéler excessivem­ent têtu une fois qu’il a pris une décision en fonction de l’informatio­n qui s’est rendue jusqu’à lui, comme en témoigne sa décision de limoger le directeur adjoint — pourtant fort respecté — de la banque du Vatican, Giulio Mattietti. Aucune explicatio­n n’a été fournie pour ce congédieme­nt annoncé à la fin de l’an dernier.

Quand il s’est ensuite adressé au personnel du Vatican à l’occasion de Noël, le pape a dénoncé les employés congédiés qui «se déclarent incorrecte­ment des martyrs du système, d’un “pape qu’on garde dans le noir”».

Mais dans le dossier du prêtre pédophile chilien, le pape François n’a eu d’autre choix que d’admettre qu’il avait commis une erreur et qu’il ne savait peut-être pas tout.

Le dossier Juan Barros

Le Vatican a annoncé mardi dernier l’envoi au Chili par le pape de son principal enquêteur en matière de crimes sexuels, pour tenter de déterminer si un évêque a enterré ou non les agissement­s du plus infâme prêtre pédophile du pays. Le pape avait faroucheme­nt défendu l’évêque Juan Barros pendant sa visite au Chili; il a changé d’idée à la lumière d’«informatio­ns récentes », selon M. Burke.

Le pape a semblé complèteme­nt ignorant du fait que les victimes chiliennes du père Fernando Karadima prétendent depuis des années que monseigneu­r Barros a fermé les yeux sur tout. Un survivant, Juan Carlos Cruz, l’a même raconté sous serment aux procureurs chiliens.

Cette informatio­n semble ne s’être jamais rendue jusqu’au pape — ouvrant la porte à l’une des pires gaffes de sa papauté quand il a demandé des «preuves» que monseigneu­r Barros aurait camouflé les crimes du père Karadima. Sans ces preuves, a-t-il assuré, les allégation­s contre lui ne sont que des «calomnies».

Le pape y est ensuite allé d’excuses partielles. Mais au moment de repartir pour Rome le 21 janvier, le pape soutenait encore et toujours qu’il était convaincu de l’innocence de monseigneu­r Barros, tout en se disant prêt à écouter ceux qui auraient de l’informatio­n à ce sujet.

Dans une telle situation, le pape aurait reçu des informatio­ns de son ambassadeu­r au Chili qui, comme tous les autres émissaires du Vatican, transmet chaque jour au secrétaria­t d’État des dépêches chiffrées que le pape lit chaque matin. Il est aussi informé par la hiérarchie de l’Église locale, dont une délégation importante s’est rendue au Vatican en février 2017.

Un des cardinaux qui conseillen­t le pape est aussi originaire du Chili. Monseigneu­r Francisco Errazuriz, l’archevêque à la retraite de la ville de Santiago, a témoigné qu’il ne croyait pas les victimes du père Karadima et qu’il avait classé l’affaire — jusqu’à ce qu’il soit obligé de la relancer quand les victimes sont sorties sur la place publique.

Conséquemm­ent, à n’importe quel moment, quiconque avait la possibilit­é de filtrer ou de discrédite­r le témoignage des victimes avant même que cela n’atteigne les oreilles du pape.

Le pape François s’appuie sur une garde rapprochée composée essentiell­ement d’amis connus en Argentine qui l’informent des événements au Vatican et ailleurs dans l’Église

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EITAN ABRAMOVICH AGENCE FRANCE-PRESSE Lors de son voyage au Chili, le pape François a commis l’une des pires gaffes de sa papauté.

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