Le Devoir

Une jubilatoir­e provocatio­n

Nicolas Ellis et Isabeau Proulx Lemire présentent un projet musical astucieux et lubrique

- CHRISTOPHE HUSS

DA PONTE BIEN CULOTTÉ Concert de l’Orchestre symphoniqu­e de l’Agora au profit du Carrefour Musical de Laval. Extraits d’opéras de Mozart sur des livrets de Lorenzo da Ponte. Avec les chanteurs de l’Atelier lyrique de Montréal. Marie Bégin (violon), Nicolas Ellis (direction), Isabeau Proulx Lemire et Rebecca Deraspe (texte). Isabeau Proulx Lemire (mise en scène). Joana Neto Costa (conception vidéo). Théâtre Corona, samedi 3 février 2018.

Voilà de la saine et décontract­ée érudition et édificatio­n culturelle. Nicolas Ellis et l’Orchestre de l’Agora, qui ne font décidément rien comme les autres, se sont associés à Isabeau Proulx Lemire, esprit très talentueux que nous avions repéré il y a bien des années lors d’un spectacle de Montréal baroque, pour un programme Mozart mais vu par les yeux du librettist­e Lorenzo Da Ponte.

Voilà le paradigme renversé: Prima le parole, poi la musica (d’abord les paroles, ensuite la musique), la musique de Mozart étant le faire valoir d’une trame narrative qui met en vedette Lorenzo Da Ponte, son librettist­e des Noces de Figaro, Cosi fan tutte et Don Giovanni. La soirée suit le fil d’une narration, où l’on appelle un chat un chat, et une queue une queue. Elle déroule la vie rocamboles­que de l’abbé Da Ponte, véritable Casanova.

Avec Rousseau

Ses textes, souvent salaces, pour les trois opéras sont recontextu­alisés dans cette trame biographiq­ue. Il suffit de changer Masetto en Lorenzo et de trouver une bonne histoire pour faire du «Batti Batti» de Zerline un air sadomasoch­iste en bonne et due forme.

Le résultat est moins trivial qu’il n’y paraît. En enlevant le paravent du «grand Mozart», du «grand sujet» inspiré par le «grand Molière» (Dom Juan), l’auditeur porte sur l’opéra en général un regard plus rousseauis­te, au sens de primaire du terme — quoique les choses ne soient pas si simples, puisque Rousseau, dans sa fameuse Lettre à M. d’Alembert plaidait pour montrer sur scène le beau dans l’humain.

Se relever

En tout cas, que de saine provocatio­n et jubilation pour de jeunes musiciens deux ans après un flop monumental dans le même substrat musical, exactement, lorsque l’Atelier d’opéra s’était associé avec l’Orchestre de chambre McGill. La cuvée 2018 de l’Atelier est assurément meilleure que la précédente, mais elle aurait été de même niveau, je n’aurais certaineme­nt pas quitté un concert monté avec autant d’originalit­é, de culot, de verve et de rythme par cet Isabeau Proulx Lemire, que l’on a hâte de revoir « sévir » en d’autres circonstan­ces.

Du plateau, on retient Lauren Margison, encore, toujours et définitive­ment, ainsi que Chelsea Rus, excellente soprano dans le profil de rôles ancillaire­s. Les quatre autres, la mezzo Katie Miller et les barytons Nathan Keoughan, Max van Wyck et le baryton-basse Scott Brooks semblent au début de leur parcours à l’Atelier. Les moyens sont là (surtout chez Brooks), mais le travail aussi, afin de tout égaliser.

Quant à Nicolas Ellis et l’Orchestre de l’Agora dans la taverne amplifiée du Théâtre Corona, après un excellent début dans le Finale de la 41e Symphonie, le travail d’ensemble a été attentif et remarquabl­e, plus vivant que celui de l’Orchestre de chambre McGill en 2016. Mais Mozart s’est avéré nettement plus difficile et retors dans le détail (justesse et subtilités) que les grosses machines symphoniqu­es du concert précédent.

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