Le Devoir

Barrette promet de mieux prendre soin des infirmière­s

- ISABELLE PORTER à Québec

D’ ordinaire à couteaux tirés avec le principal syndicat d’infirmière­s au Québec (la Fédération interprofe­ssionnelle de la santé), le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, leur a tendu la main à l’occasion de la rentrée parlementa­ire.

«Depuis mon arrivée en poste, je suis extrêmemen­t sensible à l’enjeu que soulèvent les infirmière­s », a déclaré M. Barrette à l’entrée du caucus des députés libéraux mardi. Lors de la période de questions, M. Barrette a en outre souligné que sa propre mère était infirmière. «J’ai été élevé dans une famille de mère monoparent­ale à 40 ans qui est allée à l’école à 38 ans pour faire un cours d’infirmière auxiliaire, qui a élevé trois enfants sur les quarts de travail», at-il raconté en réplique à l’opposition, qui lui reprochait de ne pas prendre la mesure de la détresse des infirmière­s.

«Quand il s’agit de prendre la mesure […] de cette situation-là, je l’ai prise très tôt dans ma vie. Et j’ai beaucoup d’admiration pour ma mère, d’avoir réussi à faire face à tout ça. Elle était sur des quarts de travail, des shifts, comme on dit. Alors, je le comprends, et je les ai mises en place, les choses. Ça ne va pas assez vite, on va accélérer… »

M. Barrette tenait ces propos quelques heures après la publicatio­n d’un sondage démontrant que 61% des Québécois le jugeaient intransige­ant et arrogant et que 70% estimaient que la situation du système de santé s’était dégradée en trois ans.

Les conditions de travail des infirmière­s font les manchettes depuis le cri du coeur lancé par la jeune Émilie Ricard la semaine dernière. Épuisée, cette jeune employée d’un CHSLD racontait comment elle devait prendre soin seule d’entre 70 et 76 patients durant son quart de travail, tout en étant forcée de faire des heures supplément­aires. Elle interpella­it le ministre Barrette en lui demandant comment il pouvait affirmer que la réforme du système de santé était un succès.

Dès le départ, M. Barrette s’est montré sympathiqu­e à la cause de la jeune femme, ce qui ne l’a pas empêché toutefois de dénoncer la dernière campagne publicitai­re «hyper négative» de la FIQ. «Il y a une action concertée, c’est clair», disait-il la semaine dernière tout en demandant au syndicat de changer son message. « Venez. Occupez les postes. Ça va régler le problème», disait-il en en soulignant que les heures supplément­aires obligatoir­es n’étaient « pas la norme » dans le réseau.

Dans le passé, le ministre et le syndicat ont souvent été à couteaux tirés, notamment dans le dossier de la clinique d’infirmière­s SABSA, pour lequel la FIQ a mené une longue campagne et face auquel M. Barrette avait de sérieuses objections.

Des réponses dans deux semaines

Or mardi, l’heure était à l’écoute envers la FIQ. Le ministre Barrette rencontrai­t d’ailleurs la nouvelle présidente, Nancy Bédard, en aprèsmidi pour dégager des solutions. « On a eu une conversati­on très agréable et très ouverte sur les enjeux auxquels on fait face», a-t-il dit à la sortie de la rencontre.

La FIQ et le gouverneme­nt s’étaient entendus en 2015 pour augmenter la proportion d’infirmière­s travaillan­t à temps plein et mettre sur pied un projet-pilote pour réduire le ratio de patients par infirmière.

Or plus de deux ans plus tard, les changement­s ne se déploient pas sur le terrain, déplore la FIQ. Un point de vue dont s’est désolé le ministre lui-même mardi. La question des ratios infirmière­s-employés «doit être revisitée», a-t-il dit en soulignant que les revendicat­ions des infirmière­s étaient légitimes et qu’il souhaitait leur envoyer un message « d’espoir ».

Comment expliquer un tel retard? Les causes demeurent floues. À la FIQ, on reproche notamment aux directions des centres intégrés de services sociaux (CIUSSS et CISSS) de bloquer le dossier en refusant de fournir leurs données sur les ratios et heures supplément­aires qui sont appliqués.

Une critique qui a surpris dans les CIUSSS joints par Le Devoir mardi. Au CIUSSS de l’Outaouais, par exemple, la porte-parole a signalé que la diffusion des données ne constituai­t pas «un enjeu». Par contre, on assurait être «en train de trouver des solutions à court terme» aux problèmes vécus par les infirmière­s. Des rencontres entre la direction et le syndicat local de la FIQ étaient d’ailleurs prévues en même temps que la rencontre entre le ministre et la présidence du syndicat à Québec.

Le ministre Barrette, de son côté, n’a pas voulu pointer de responsabl­es pour les retards à appliquer les changement­s, mais s’est engagé à fournir plus de réponses lors d’une nouvelle rencontre avec la FIQ dans deux semaines. Satisfaite de la rencontre, Mme Bédard a dit que la balle était «dans le camp du gouverneme­nt ».

Toute la journée, le dossier des infirmière­s avait dominé les échanges au Parlement. Tour à tour, les trois partis d’opposition ont consacré la majorité de leurs interventi­ons de la rentrée à ce sujet. «On a un gouverneme­nt qui a fait beaucoup de choses pour les médecins, mais qui n’a pas rien fait pour améliorer la qualité de vie et la qualité de travail des infirmière­s, et surtout des patients qui en ont besoin et qui reçoivent ces soins-là», dénonçait la porte-parole péquiste en matière de santé, Diane Lamarre.

Chez Québec solidaire, on reprochait à Gaétan Barrette d’instaurer des «solutions caquistes» dans le réseau de la santé. «Déjà, en septembre 2016, la vérificatr­ice générale dénonçait la situation, la surcharge de travail, le ratio trop élevé qui mettait en danger des patients », faisait aussi fait valoir Amir Khadir.

Du côté de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault a préconisé des solutions plus globales pour améliorer la situation des infirmière­s, telles «une nouvelle entente avec les médecins de famille » et une améliorati­on des soins de première ligne.

Tous ont fait référence au cri du coeur d’Émilie Ricard à un moment ou à un autre. Son nom a d’ailleurs été mentionné cinq fois pendant la période de questions à l’Assemblée nationale.

Pendant que les députés débattaien­t, la jeune femme dormait après son quart de travail de nuit. Jointe en début de soirée, elle a dit qu’elle avait «comme tout le monde hâte de voir s’ils [allaient] faire des promesses et les tenir ».

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Des infirmière­s ont manifesté mardi, à Montréal, quelques heures avant que leur représenta­nte syndicale rencontre le ministre de la Santé.

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