Éviter le côté sombre des réseaux sociaux
Plusieurs athlètes font le choix de se débrancher pour la durée des Olympiques
Samsung offrira un cadeau de bienvenue typiquement coréen aux athlètes qui participeront à partir de vendredi aux Jeux de Pyeongchang. Tous les sportifs recevront un téléphone neuf, pour leur permettre «de rester connectés, de capter et de partager certains des moments les plus mémorables de leur vie». Certains d’entre eux ne le sortiront cependant pas de sa boîte, conscients que les réseaux sociaux peuvent à fois les motiver et leur nuire.
C’est le cas de la patineuse québécoise Marianne St-Gelais, qui a annoncé la semaine dernière sur son compte Instagram qu’elle ne toucherait plus aux réseaux sociaux jusqu’à la fin des Jeux olympiques.
«Même si je ne peux pas vous lire et même si je ne peux pas voir ce que vous me dites, l’amour et le soutien, je le sens à 100%», a-t-elle pris la peine de souligner à ses 11 000 abonnés.
Il y a quatre ans, aux Jeux de Sotchi, des commentaires reçus à la suite d’une performance en deçà des attentes l’ont ébranlée et elle ne veut pas que ça se reproduise.
Cette année, c’est l’agence Marie-Annick L’Allier qui se chargera d’alimenter ses différents comptes.
Les soeurs Justine et Chloé Dufour-Lapointe, qui ont remporté l’or et l’argent à l’épreuve des bosses en 2014, ont fait le même choix, préférant se réfugier dans la proverbiale «bulle olympique » et laisser leur aînée, Maxime, s’occuper des publications.
Contexte unique
« Plusieurs athlètes de tête vont avoir plus de sollicitations, de messages et de “j’aime” que jamais. C’est un contexte nouveau à gérer, qui est unique aux Jeux olympiques», explique le préparateur mental Fabien Abejean, qui travaille actuellement avec l’équipe canadienne de patinage de vitesse courte piste, mais a également conseillé des athlètes olympiques en plongeon, en boxe et en judo.
«Avec les réseaux sociaux, certains athlètes ne disputent plus leur compétition en fonction de leurs objectifs, ils le font en pensant à ce qu’ils représentent. Ça peut changer la dynamique de performance et la peur de décevoir peut entrer en jeu », souligne-t-il.
La stratégie à adopter varie d’un athlète à l’autre, affirme ce spécialiste de la psychologie sportive. Certains profitent de la saison de Coupe du monde pour s’habituer à utiliser les réseaux sociaux et à devenir le centre de l’attention en l’espace de quelques jours, alors que d’autres préfèrent laisser l’équipe de communication de leur équipe, leur agence ou leurs proches s’occuper de leur rayonnement sur Facebook, Instagram ou Twitter.
Visibilité payante
Qu’ils alimentent les réseaux sociaux euxmêmes ou non, les athlètes peuvent difficilement se passer de ce formidable outil de promotion, fait remarquer Marie-Annick L’Allier, la présidente de l’agence qui porte son nom. Pendant les deux semaines des Jeux olympiques, un athlète auparavant inconnu du grand public peut attirer des abonnés par milliers et obtenir une visibilité fort convoitée, note-t-elle. «Quand on fait la recherche de commandites, la présence sur les réseaux sociaux devient un critère de sélection pour les entreprises, parce que les athlètes deviennent des influenceurs. »
Lors des Jeux de Sotchi, Mme L’Allier a été témoin de l’impact des réseaux sociaux sur sa protégée Marianne St-Gelais, mais elle a aussi vu à quel point l’appui des internautes a permis au patineur François Hamelin de garder la tête haute après sa chute en demi-finale du relais masculin. «Ça l’a porté. C’était un baume pour lui de voir que les gens le soutenaient. »
«Avant les Jeux, on essaie de préparer les athlètes et d’avoir un plan de match, mais s’il y a bien quelque chose qui est imprévisible, c’est les réseaux sociaux, observe-t-elle. On conseille les athlètes en fonction de leur personnalité.»
Règles strictes
Les athlètes olympiques qui décident d’utiliser les réseaux sociaux doivent cependant faire preuve de prudence. La controversée règle 40 de la Charte olympique interdit à toutes les personnes accréditées pour les Jeux d’utiliser les réseaux sociaux à des fins commerciales, promotionnelles ou publicitaires. Les athlètes ne peuvent pas publier du contenu faisant référence à une marque ou créer du contenu qui associe une compagnie au terme « olympique » ou au symbole olympique.
Ironiquement, les Jeux olympiques permettent donc aux athlètes de briller plus que jamais, mais les sportifs ne peuvent pas profiter de cette visibilité inégalée pour faire mention des commanditaires dont ils dépendent en grande partie pour vivre de leur sport, à moins d’obtenir l’autorisation du Comité international olympique (CIO).
Depuis l’ouverture du village olympique jeudi dernier jusqu’à sa clôture le 28 février prochain, les athlètes ne peuvent par ailleurs pas partager de vidéos montrant les aires de compétition. Cela signifie qu’un athlète olympique qui voudrait assister à l’épreuve de patinage artistique ne pourrait pas diffuser publiquement une vidéo enregistrée depuis les estrades.
Ces lignes directrices, fréquemment critiquées par des athlètes qui y voient une violation de leur liberté d’expression, ont un objectif bien précis, affirme le professeur de marketing à l’Université de Sherbrooke Marc D. David: protéger les intérêts des commanditaires et des diffuseurs officiels des Olympiques. « Ces compagnies-là paient des centaines de millions pour être un commanditaire olympique, donc elles veulent éviter l’encombrement publicitaire, résume-t-il. L’engouement médiatique des Olympiques doit être rentabilisé pour tout le monde. […] Tous ces gens-là en veulent pour leur argent. »
« Les organisateurs font attention à leurs commanditaires, parce que sans commanditaires, il n’y a pas de Jeux olympiques », poursuit-il.
Après avoir légèrement assoupli la règle 40 en 2015 à la suite de la protestation de certains athlètes, le CIO devrait-il encore lâcher du lest ? Pourquoi pas, dit M. David. «Je pense qu’il y aurait place à un compromis pour permettre aux athlètes de mieux se faire connaître sur les réseaux sociaux sans avoir à effacer le logo olympique. »