Le Devoir

Le diplôme et les francophon­es : quel retard ?

- PIERRE DORAY Départemen­t de sociologie de l’UQAM BENOÎT LAPLANTE Centre Urbanisati­on, culture et société de l’Institut national de recherche scientifiq­ue

Un article récent du Devoir (24 janvier 2018) faisait état d’une recherche de R. Lacroix et L. Maheu concluant au retard du Québec, et spécialeme­nt des francophon­es du Québec, en matière de diplomatio­n universita­ire en comparaiso­n à l’Ontario. Les auteurs s’appuient sur des données administra­tives agrégées: le nombre de diplômes décernés par année au Québec et en Ontario, le nombre annuel de diplômes décernés selon la langue maternelle au Québec, le taux de diplomatio­n des université­s, etc. Or, ces informatio­ns ne permettent pas de tirer les conclusion­s des auteurs. Nous le savons parce que nous avons déjà étudié cette question et que pour y répondre, nous avons utilisé des données d’une autre nature.

On ne peut pas mesurer la proportion des individus qui détiennent un diplôme universita­ire dans une population à un moment donné à partir du nombre des diplômes qui sont décernés par les université­s au fil des années. La détention d’un diplôme est une caractéris­tique des individus. On ne peut mesurer cette proportion qu’à partir de données recueillie­s auprès de la population, comme celles du recensemen­t.

Rappelons que la population de chaque province est composée de personnes qui y sont nées, qui y ont étudié et qui y travaillen­t, mais aussi de migrants venant des autres provinces, qui y ont majoritair­ement étudié et qui les ont quittées pour travailler ailleurs. Chaque province est aussi composée d’immigrants qui proviennen­t de différents pays et qui ont été largement sélectionn­és sur la base de leur éducation, les diplômés universita­ires obtenant de plus de points lors de l’évaluation de leur dossier par les autorités canadienne­s.

Si on veut utiliser la proportion des «francophon­es du Québec » qui détient un diplôme universita­ire pour juger de l’efficacité du système d’enseigneme­nt du Québec à éduquer les francophon­es, il faut définir les «francophon­es du Québec» quant à la question posée et se concentrer sur les personnes qui sont nées au Québec, qui y ont étudié et qui y résident toujours au moment où on fait la mesure. Pour comparer les francophon­es du Québec aux autres groupes linguistiq­ues, il faut définir ces groupes de manière analogue.

Des résultats différents

Quand on tient compte de ces contrainte­s et que l’on utilise les données adéquates (dans notre cas, le recensemen­t de 2001, où l’on retrouvait les informatio­ns pertinente­s), les résultats de la comparaiso­n sont différents. Dans notre étude, nous constatons qu’en 2001, la proportion des diplômés universita­ires était de 21% chez les francophon­es nés au Québec et y vivant toujours, de 25% chez les anglophone­s nés au Québec et y vivant toujours, et de 21% chez les anglophone­s nés en Ontario et y vivant toujours. Autrement dit, les francophon­es du Québec qui sont nés dans leur province et y ont étudié sont proportion­nellement aussi nombreux à détenir un diplôme universita­ire que les anglophone­s nés en Ontario et qui y ont étudié.

Oui, la proportion de la population totale qui détient un diplôme universita­ire est plus élevée en Ontario qu’au Québec, car la proportion des personnes nées dans une autre province ou à l’étranger est plus élevée en Ontario qu’au Québec. Oui, la proportion des anglophone­s du Québec qui détient un diplôme universita­ire est plus élevée que celle des francophon­es du Québec, mais ceci tient au fait que les anglophone­s du Québec, contrairem­ent à ceux de l’Ontario, sont concentrés dans les couches supérieure­s de la société et que cette position sociale se transmet d’une génération à l’autre, notamment par le fait d’aller à l’université.

Bref, quand on prend la méthode qui permet de comparer les comparable­s, on voit que la proportion des diplômés universita­ires est la même chez les francophon­es du Québec et chez les anglophone­s de l’Ontario. Comme il n’y a pas de différence entre les deux groupes qui sont comparable­s, il n’y a pas grand-chose à dire sur les avantages et inconvénie­nts comparés des systèmes québécois et ontarien à partir de la proportion des diplômés. Les systèmes d’enseigneme­nt du Québec et de l’Ontario sont différents. La chose est indiscutab­le, mais elle n’a pas l’effet que les auteurs prétendent voir. Chose amusante, les auteurs omettent de leurs discussion­s les particular­ités du système ontarien qui ont fort probableme­nt contribué, bien qu’on ne sache pas exactement comment, à faire varier les indicateur­s administra­tifs qu’ils utilisent, notamment l’abolition de la treizième année du secondaire en 2003 qui a perturbé le flux des admissions à l’université. Ils ont également ignoré le développem­ent des collèges d’arts appliqués et de technologi­e qui offrent un très vaste éventail de programmes de formation profession­nelle dont un certain nombre sont couronnés par un baccalauré­at, c’est-à-dire des diplômes de premier cycle universita­ire. En effet, ironiqueme­nt pour les auteurs qui semblent ne pas être sensibles au rôle des cégeps, une partie des nouveaux bacheliers ontariens a obtenu son diplôme dans un collège…

La proportion des diplômés universita­ires est la même chez les francophon­es du Québec et chez les anglophone­s de l’Ontario

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MEL EVANS ASSOCIATED PRESS Lorsqu’on prend une méthode qui permet de comparer les comparable­s, on voit que la proportion des diplômés universita­ires ne diffère pas.

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