Le Devoir

Les Kurdes dans la mire de la Turquie

- KHALED SULAIMAN Écrivain et journalist­e

Une des plus puissantes armées de l’OTAN, celle de la Turquie, est en train de détruire la région d’Afrin en Syrie, et la communauté internatio­nale, en se bouchant les oreilles et en fermant les yeux, présente son silence comme le plus beau cadeau à Erdogan.

Des villages, des temples, des hôpitaux et des oliviers sont rasés par les forces aériennes turques. Un million et demi de personnes, dont un demi-million de déplacés, vivent sous le bombardeme­nt quotidien, des centaines parmi elles se réfugient dans des grottes. Selon ce qu’on peut voir sur des images publiées dans les médias locaux et internatio­naux, les avions turcs n’excluent pas les civils et leurs foyers, ni les services publics et les sites historique­s.

D’abord, le nord-ouest de la Syrie, où se trouve l’enclave d’Afrin, administré par les Kurdes depuis 2011, est devenu un champ libre pour tester les armes européenne­s et américaine­s par le gouverneme­nt islamocons­ervateur turc. Il est bien important de noter qu’après l’apparition des chars allemands (Léopard-2) dans cette agression militaire turque, une première vague de critiques a déferlé contre le silence du gouverneme­nt d’Angela Merkel sur l’utilisatio­n de ces chars contre les Kurdes. Mais l’arme plus dangereuse que les Léopard-2 est celle du silence du monde devant une violence étatique qui décuplera le désastre politique et sécuritair­e en Syrie.

Dans la justificat­ion de cette guerre, le président turc a convaincu la communauté internatio­nale que son pays est menacé par le Parti d’Union démocratiq­ue (PYD) et ses branches militaires, dont les Unités de protection du peuple (YPG) et les Unités de protection de la femme (YPJ). Mais au-delà de ce mensonge, Erdogan n’a jamais manqué une occasion de montrer qu’il est contre l’existence même des Kurdes en Afrique. Dès la création de leurs administra­tions autonomes dans la région du nord de la Syrie en 2012, les Kurdes n’ont jamais constitué une menace pour la Turquie, même s’ils sont déjà dans sa mire.

Fermer les yeux

Il est important de savoir que la région dans laquelle les Kurdes ont vaincu l’organisati­on de l’État islamique (Daech) se démarque par rapport aux autres régions dans une Syrie en proie à de la violence. Et la pacificati­on de cette région kurde constitue la source d’inquiétude du «sultan» Erdogan, qui est prêt à tout pour que les Kurdes ne puissent pas profiter de leurs droits politiques et nationaux. Cela veut dire que l’offensive Rameau d’olivier — Coupeur d’olivier dans les médias kurdes — ne date pas de son déclenchem­ent le 20 janvier dernier. Elle est plutôt ancrée dans le dogme politique et militaire turc depuis toujours.

Entre-temps, les deux grandes puissances, les États-Unis et la Russie, qui sont censées ramener la stabilité en Syrie, ferment les yeux sur les atrocités turques en se concentran­t sur l’Iran et le régime de Bachar el-Assad.

Pour les Américains, les régions les plus importante­s en Syrie sont celles de l’est et du nordest, où se trouvent les provinces de Deir EzZour, de Raqqa et d’Hassaké, qui permettrai­ent d’établir un corridor d’interventi­on entre l‘Iran, la Syrie et le Liban, et pour le pétrole tant convoité. Pour Vladimir Poutine, tout échec en Syrie couperait l’herbe sous le pied aux Russes dans le grand Moyen-Orient et à la façade maritime méditerran­éenne. Il s’agit donc d’une carte régionale forte à jouer pour le nouveau César russe. En bref, les deux puissances ont laissé les Kurdes de Syrie dans la mire de la Turquie, et dans celle de l’Iran en Irak après le référendum de l’indépendan­ce en 2017.

Il faut rappeler dans ce contexte que la Syrie, l’Iran et l’Irak ont intérêt à éliminer toute possibilit­é d’émergence d’une entité kurde dans la région. Cela ramène les Kurdes, qui constituen­t la plus grande nation colonisée jusqu’à aujourd’hui, à une géopolitiq­ue post-coloniale étouf fante.

Dans ce contexte, et sous le couvert de «préoccupat­ions légitimes en matière de sécurité», la communauté internatio­nale se contente d’un silence complice doublé d’hypocrisie alors que le président Erdogan se prépare à déplacer son cheval de Troie, pour des considérat­ions dites géostratég­iques et les intérêts militaro-économique­s des uns et des autres. Et Afrin, la sacrifiée, ne suscite la préoccupat­ion d’aucun pays.

 ?? DELIL SOULEIMAN AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Scène d’une manifestat­ion de mardi, à Jandairis, pour dénoncer l’offensive Rameau d’olivier
DELIL SOULEIMAN AGENCE FRANCE-PRESSE Scène d’une manifestat­ion de mardi, à Jandairis, pour dénoncer l’offensive Rameau d’olivier

Newspapers in French

Newspapers from Canada