Le Devoir

Le seul théâtre de Paris voué à la Francophon­ie fermera

Le seul théâtre de Paris voué à la Francophon­ie est menacé de disparitio­n

- CHRISTIAN RIOUX Correspond­ant à Paris

Est-ce le signe de l’intérêt que porte le gouverneme­nt d’Emmanuel Macron à la Francophon­ie? Le seul théâtre parisien entièremen­t consacré à la création et à la diffusion théâtrales francophon­es fermera ses portes à compter de janvier 2019. Situé sur l’avenue Gambetta dans le 20e arrondisse­ment de Paris, Le Tarmac affichait depuis son arrivée dans ces lieux, en 2011, une programmat­ion essentiell­ement axée sur la création francophon­e en théâtre et en danse. Parmi les Québécois qui s’y sont produits ou le feront prochainem­ent, on trouve des noms aussi prestigieu­x que Denis Marleau, Michel Marc Bouchard, Hélène Blackburn et Dave Saint-Pierre. Mais aussi de jeunes auteurs comme Philippe Ducros et Mani Soleymanlo­u.

Le couperet est tombé la semaine dernière par la voie d’un simple communiqué de la ministre de la Culture Françoise Nyssen. Le ministère a ainsi voulu prendre de court la publicatio­n imminente d’une tribune signée par 50 personnali­tés de la francophon­ie opposées à cette fermeture. Parmi elles, on trouve l’ancien ministre de la Culture Jack Lang, le musicien camerounai­s Manu Dibango, le romancier algérien Boulem Sansal et l’écrivain et éditeur québéco-haïtien Rodney Saint-Éloi.

Dans le même communiqué, on apprend que le théâtre de l’avenue Gambetta sera occupé dès 2019 par le Théâtre Ouvert. Une compagnie fondée par Lucien et Micheline Attoun à l’invitation de Jean Vilar dans les années 1970 au Festival d’Avignon. Le théâtre vient en effet de perdre sa petite salle de la Cité Véron à Montmartre à côté du Moulin-Rouge. Dans son communiqué, le ministère laisse entendre que le Théâtre Ouvert pourrait à son tour devenir un « lieu emblématiq­ue de la création francophon­e» puisqu’il est présidé par l’ancienne ministre déléguée à la Francophon­ie Catherine Tasca. Le même communiqué nous apprend que «le renforceme­nt de la politique du ministère de la Culture en faveur de la Francophon­ie est une priorité de [la ministre] Françoise Nyssen ».

«Un très mauvais signal»

Pour sa directrice, Valérie Baran, la fermeture annoncée du Tarmac « pose, au-delà des grandes déclaratio­ns de principes, la question de l’intérêt réel de ce gouverneme­nt pour la Francophon­ie. Cela envoie un très mauvais signal en direction de celleci ». Selon elle, si cette décision est maintenue, Le Tarmac sera sacrifié sur l’autel d’une politique de réductions budgétaire­s. Quant au Théâtre Ouvert, il est essentiell­ement un théâtre de création, dit-elle, qui n’a pas vocation à inviter des troupes francophon­es ni à assurer la diffusion de leur oeuvre au grand public. Même si la programmat­ion

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Un lieu comme Le Tarmac est absolument essentiel pour tisser des liens dans toute la Francophon­ie et sortir le Québec de sa cuisine, alors même que nous sommes anglophone» un îlot francophon­e dans une mer Le comédien et dramaturge Philippe Ducros

du Tarmac comprend 50% de créations, le théâtre a aussi organisé des tournées en France, en Afrique et même en Asie.

Selon Valérie Baran, les troupes et les auteurs africains qui n’ont pas les moyens de vivre de leur art dans leur pays ou qui subissent la censure seront les premiers à souffrir de cette fermeture. Le théâtre a notamment contribué à faire connaître en France des artistes québécois, comme le metteur en scène Sylvain Bélanger, aujourd’hui directeur artistique du Théâtre d’Aujourd’hui.

Une pétition publiée sur Internet demandant de reconsidér­er cette fermeture a déjà été signée par 8000 personnes, dont un certain nombre de Québécois. «Un lieu comme Le Tarmac est absolument essentiel pour tisser des liens dans toute la Francophon­ie et sortir le Québec de sa cuisine, alors même que nous sommes un îlot francophon­e dans une mer anglophone», dit le dramaturge, metteur en scène et comédien Philippe Ducros, qui dirige la compagnie québécoise Hôtel-Motel. « C’est grâce aux réseaux d’un théâtre comme Le Tarmac que j’ai pu former ma plume et me confronter à d’autres esthétique­s au Congo, en Palestine et au Liban. À quoi servirait-il de détruire ces réseaux pour tout rebâtir à partir de zéro?»

Valérie Baran se donne jusqu’au 20 mars, Journée internatio­nale de la Francophon­ie, pour faire réviser cette décision. On s’attend alors à ce que le président Emmanuel Macron précise ses projets en ce qui concerne la Francophon­ie. Le ministère français de la Culture n’a pas souhaité répondre à nos questions.

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SOURCE LE TARMAC Une pétition publiée sur Internet demandant de reconsidér­er la fermeture de l’établissem­ent a déjà été signée par 8000 personnes.

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