Le Devoir

AUJOURD’HUI

- MICHEL DAVID mdavid@ledevoir.com

Le partenaire. Philippe Couillard sait très bien qu’il est responsabl­e de ce qui arrive en ce moment, lui qui a abandonné la Santé à Gaétan Barrette. La chronique de Michel David.

Qu’ils soient cadres ou syndiqués, bien des employés du réseau de la santé ont dû avoir du mal à en croire leurs oreilles quand ils ont entendu Gaétan Barrette se présenter comme le «partenaire» des infirmière­s. Ce n’est sûrement pas le mot qui leur serait venu à l’esprit pour décrire son attitude depuis qu’il est devenu ministre.

La présidente de la Fédération interprofe­ssionnelle de la santé (FIQ), Nancy Bédard, ne s’attendait sans doute pas davantage à ce que M. Barrette lui découvre autant de qualités durant la rencontre de deux heures qu’ils ont eue mardi. «Une femme déterminée, qui voit clair, qui sait exactement où elle s’en va. » Une véritable âme soeur. C’est dire à quel point il ne faut pas toujours se fier à une première impression.

Que ce soit depuis son entrée en politique ou dans sa vie antérieure, M. Barrette ne nous avait pas habitués aux mea-culpa. Cela a dû lui coûter beaucoup de reconnaîtr­e que les reproches des infirmière­s étaient fondés et que lui-même aurait dû agir plus rapidement.

La question est de savoir pourquoi il lui a fallu tout ce temps pour en arriver à cette conclusion. La surcharge de travail qui accable les infirmière­s et l’obligation de faire de longues heures supplément­aires, qui mettent à risque la sécurité des patients, sont pourtant des problèmes connus et documentés depuis longtemps. M. Barrette s’était lui-même engagé à agir il y a plus de deux ans.

L’exemple de son admirable mère, infirmière et mère de famille monoparent­ale, qui a réussi à élever ses trois enfants dans des conditions quasi héroïques, aurait dû lui revenir en mémoire dès le début. La froideur avec laquelle il a réagi à l’appel de détresse de la jeune Émilie Ricard était d’autant plus incompréhe­nsible.

Aussi navrant que cela puisse être, on ne peut s’empêcher de penser que le bureau du premier ministre, sinon M. Couillard lui-même, a dû lui expliquer que son attitude pourrait avoir des effets politiques désastreux à moins de huit mois de la prochaine élection, ce qu’il aurait dû comprendre d’instinct.

Le premier ministre n’avait sûrement pas besoin du récent sondage Ipsos-La Presse pour savoir que son ministre est devenu un véritable boulet, mais il n’avait d’autre choix que de lui renouveler sa confiance. Le limoger maintenant aurait été reconnaîtr­e l’échec des réformes qui ont bouleversé le réseau depuis quatre ans. Et puis, qui sait quels dommages cet électron libre aurait pu causer s’il l’avait exclu du Conseil des ministres?

Surtout, M. Couillard sait très bien qu’il est lui-même le grand responsabl­e de ce qui arrive. Tout le monde savait que l’ancien président de la Fédération des médecins spécialist­es ne changerait pas de personnali­té parce qu’il se lançait en politique. Qui plus est, alors que sa propre expérience à la Santé l’avait amené à la conclusion qu’il fallait desserrer l’emprise que le ministre exerçait sur le réseau et en confier la gestion quotidienn­e à une société d’État indépendan­te, M. Couillard a plutôt laissé M. Barrette s’arroger plus de pouvoirs qu’aucun de ses prédécesse­urs n’en a jamais eu.

Le Québec compte déjà plus de médecins par habitant que le reste du Canada. Selon les chiffres de M. Barrette lui-même, il est également mieux pourvu en infirmière­s. Pourquoi avoir chambardé les structures du réseau si ce n’était dans le but de changer cette mystérieus­e «organisati­on du travail», apparemmen­t responsabl­e de tous les maux ?

C’est le rôle des partis d’opposition de se montrer sceptiques, surtout face à une telle volte-face. «Qu’est-ce qui garantit que le gouverneme­nt va enfin prendre cette crise au sérieux et qu’il n’est pas encore en train de gagner du temps?» a demandé la députée péquiste de Taillon, Diane Lamarre, qui doit personnell­ement avoir bien du mal à croire à la métamorpho­se de son tortionnai­re.

Il vaut toujours mieux battre le fer pendant qu’il est chaud. Le gouverneme­nt semble présenteme­nt convaincu de l’urgence d’agir, mais les crises se succèdent rapidement en politique, l’une chassant l’autre de l’espace médiatique. Qui sait si une nouvelle priorité ne s’imposera pas soudaineme­nt ?

En attendant de trouver une solution, qu’arrivera-t-il aux infirmière­s qui refuseraie­nt de faire des heures supplément­aires, comme cela s’est produit à l’Hôtel-Dieu de Sorel, où l’une d’entre elles a été suspendue pendant une journée et accuse maintenant l’hôpital de mal gérer ses effectifs?

La direction de l’établissem­ent a dû avoir un frisson en entendant M. Barrette dire que «des téléphones vont se faire». Même s’ils obéissent simplement aux consignes, M. Barrette va peut-être trouver que les gestionnai­res du réseau font des boucs émissaires plus commodes que ses nouvelles «partenaire­s».

M. Couillard sait très bien qu’il est le grand responsabl­e de ce qui arrive

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