Le Devoir

Médecine, religion et péché

- ALAIN NAUD Médecin de famille et en soins palliatifs au Centre hospitalie­r universita­ire de Québec (CHU – Université Laval)

Trois organisati­ons de médecins catholique­s opposés à l’aide médicale à mourir (AMM) — Société médicale et dentaire chrétienne du Canada, Fédération canadienne des sociétés catholique­s de médecins, Associatio­n canadienne des médecins pour la vie — ont échoué devant la Cour divisionna­ire de l’Ontario à se faire reconnaîtr­e le droit de discrimine­r et d’abandonner certains malades. Ils contestaie­nt deux règlements du Collège des médecins de l’Ontario, dont un les obligeant à confier à un collègue une demande d’AMM en cas d’objection de conscience (Le Devoir, 1er février 2018).

Ces médecins associent l’aide médicale à mourir à un péché. Voilà ! Le vilain mot est sorti du sac. Pour eux, transférer un tel malade à un collègue violerait leur liberté de conscience et de religion et les exposerait à une détresse émotionnel­le et à de l’anxiété. Ils reprennent à leur propre compte le même argumentai­re invoqué jadis en cour pour s’opposer à l’avortement, à la contracept­ion ou au mariage gai. Revendicat­ions chaque fois rejetées par les tribunaux.

Cette action illustre clairement aussi le dogmatisme aveugle et imperméabl­e des adeptes de ces groupes religieux qui n’ont aucun intérêt ni considérat­ion pour les malades. Aucune discussion ou aucun point de rencontre ne sont possibles. Ces individus n’en ont que pour eux-mêmes.

Le seul mérite qu’on peut trouver à l’action collective de ces médecins catholique­s, et il est important de le souligner, est d’afficher sans honte leur foi et d’exposer clairement leur motivation et le fondement religieux de leur objection (le péché), sans aucune hypocrisie. Contrairem­ent à ce qui est observé au Québec depuis des années avec les opposants activistes de même nature qui travestiss­ent soigneusem­ent leur motivation.

Opposition religieuse

Soyons clairs: l’opposition religieuse, ouvertemen­t assumée et respectueu­se d’autrui, est parfaiteme­nt légitime, louable et doit être respectée. Celle qui est mesquine, soigneusem­ent cachée et ne vise qu’à imposer une idéologie ne l’est pas. Aucun médecin, contrairem­ent à ce que certains opposants continuent de répandre faussement, n’est obligé de prendre en charge et d’administre­r lui-même l’AMM. Les lois actuelles protègent et respectent totalement les objecteurs de toute nature.

Mais la liberté de conscience ou de religion ne confère aucun droit d’imposer ses conviction­s personnell­es, religieuse­s ou idéologiqu­es, aux autres. Encore moins à ces malades vulnérable­s. Refuser de diriger vers un collègue ceux qui font une demande d’AMM ne relève pas seulement d’un manque d’écoute, d’humanité, de compassion et de respect, mais aussi d’un profond mépris à leur endroit.

Certains médecins vont jusqu’à refuser de participer aux soins, ou refuser même de rencontrer les malades qui font une demande d’AMM, les traitant comme les pestiférés du Moyen Âge. En totale violation de l’article 23 de leur code de déontologi­e (CMQ).

Depuis 30 ans que l’avortement est décriminal­isé au Canada, tous les médecins savent parfaiteme­nt qu’en cas d’objection de conscience, refuser de diriger vers un collègue une femme qui fait une demande d’interrupti­on de grossesse est une faute profession­nelle grave. L’AMM relève exactement de la même logique et des mêmes règles et obligation­s.

Un médecin témoin de Jéhovah qui refuserait de soigner, de transférer ou même de rencontrer un malade nécessitan­t des transfusio­ns sanguines sous prétexte qu’elles heurtent ses propres croyances se rendrait coupable de fautes déontologi­ques et profession­nelles graves, punissable­s de radiation. L’AMM relève exactement de la même logique et des mêmes règles et obligation­s.

La médecine n’est pas une religion. Les individus n’embrassent pas cette profession pour imposer aux malades leur propre foi, leurs valeurs et leurs croyances, mais bien pour écouter, comprendre et respecter celles des malades. Et se mettre à leur service. L’intérêt des malades doit primer les croyances personnell­es.

Prendre les malades en otages

Personne n’est obligé de devenir médecin ou de le rester. Si les conviction­s religieuse­s ou idéologiqu­es de certains sont incompatib­les avec l’exercice de la médecine et les mènent à l’anxiété, à la détresse émotionnel­le, ou à ce qu’ils considèren­t comme un état de péché irrémédiab­le, il leur appartient de trouver une solution à leurs problèmes. Ils n’ont aucun droit de prendre les malades en otages ou de les abandonner pour soulager leur conscience ou leur sentiment de culpabilit­é. Et si la seule solution acceptable à leurs yeux est de changer de pratique, de pays, ou carrément de quitter la profession: ainsi soit-il !

Aucun malade ne doit payer, avec sa souffrance, le prix des conviction­s personnell­es, religieuse­s, idéologiqu­es ou autres de certains soignants. L’AMM est un soin médical, moral, éthique, légitime et parfaiteme­nt légal. Ce n’est pas un soin honteux.

Si certains médecins refusent sans raison valable une demande d’AMM, refusent de confier une telle demande à un collègue ou même de rencontrer ou de soigner ces malades, ils doivent être dénoncés et faire d’emblée l’objet d’une plainte au Collège des médecins du Québec ainsi que, le cas échéant, au commissair­e aux plaintes d’un établissem­ent public. Ces médecins sont responsabl­es des dérapages observés jusqu’à présent dans l’AMM.

Il me revient en mémoire cette dame âgée, fervente catholique et pratiquant­e. Incurable, souffrante et en fin de vie, elle avait requis l’AMM. Questionné­e à savoir si elle y voyait un conflit avec ses conviction­s religieuse­s, sa réponse fut sans appel: «Si le bon Dieu est pas capable de comprendre ça, ça me tente pas de passer l’éternité avec lui. »

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GETTY IMAGES Aucun malade ne doit payer le prix des conviction­s personnell­es, religieuse­s, idéologiqu­es ou autres de certains soignants.

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